La nuit est noire et froide, il tombe quelques gouttesLes hommes sont partis pour le poste d’écouteSeuls quelques vieux poilus restent inoccupésFormant tout le rabiot de la garde aux tranchéesIls vont tranquillement, chacun prendre sa placeAutour du brasero de la cagna d’en faceUne lampe accrochée à même la paroiÉclaire faiblement du ras du sol au toitEt là, en attendant l’heure de leur turbinL’on entend nos grognards causer avec entrain![]()
© Essaillon– Dis donc l’ami Victor, les nouvelles sont bonnes ?– Ma foi je n’en sais rien, je n’écoute personneLes nouvelles dis-tu ? Eh bien moi je m’en fousCar voilà trop longtemps qu’on nous bourre le mouLes uns disent c’est bon, les autres au contraireVous font broyer du noir en parlant de la guerreLe matin c’est Berlin que les Français ont prisLe soir les Allemands ont envahi ParisLa corde est trop tendue, il faut qu’elle se casseL’objet de mes désirs, c’est le jour de la classePourtant on a bien dit que le communiquéFait mention que le front a partout progresséQue du côté d’Arras après trois jours de lutteLes Allemands ont fait une belle culbuteOn dit qu’on leur a pris… trois mètres de tranchéesTrois mètres, c’est beau dire, mais ce n’est pas prouvéLe renseignement sort tout chaud de la cuisineQu’en dis-tu donc Antoine ? Oh moi je fais le mortC’est que depuis huit mois l’on mange sous la tableSi c’est officiel – du reste on le devineEt je ronge mon frein, puisque c’est notre sortCe que je trouve moche, et même pitoyableL’on couche sous le lit, sans se déshabillerLe sol pour matelas, le sac pour oreillerLa capote trouée pour toute couvertureEt comme ciel de lit, des rats sur la figureEnfin tout marche bien, l’on vient de me soumettre
A. Théolas