L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 28
La fontaine de la République
Article mis en ligne le 2 octobre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par BERNARD Guy

Comme le relate Monsieur Maurice Gontard dans sa conférence du 16 Août 1986 (voir bulletin N° 1 du Trepoun) il existait place de la gendarmerie jusqu’en 1910, une fontaine qui permettait l’alimentation en eau potable du bas du village.

Le captage d’une nouvelle source à La Gourre devait permettre l’aménagement des deux points d’eau existants – places de la Poste et de la Gendarmerie – en fontaines complétées par un lavoir public ainsi que la création d’une troisième fontaine à la Bourgade.

C’est ainsi que fut réalisé – entre la maison Gontard et la gendarmerie – un grand lavoir public devant lequel la fontaine d’origine devint la « Fontaine de la République » , véritable monument composé d’un grand bassin circulaire avec en son centre, une colonne de pierre percée de plusieurs tubes d’arrivée de l’eau et surmontée d’un buste de Marianne, d’où son nom.

Durant une bonne quinzaine d’années cette belle fontaine devint un lieu de rencontre très fréquenté par la population qui venait s’y ravitailler en eau, profitant de l’occasion pour commenter les dernières nouvelles. Avec l’installation du réseau d’eau dans les habitations cette fonction initiale devait disparaître bien que l’activité du lavoir attenant demeure importante jusqu’à l’arrivée des appareils de lavage du linge, bien après la fin de la seconde guerre mondiale.

Il n’en reste pas moins que la fontaine avait encore un grand rôle à jouer surtout pour ceux qui résidaient à proximité.

Tout d’abord – bien que les parents ne partagent pas cette opinion – c’était un lieu de jeux privilégié, pour les enfants. Pour le grand nettoyage de printemps les ménagères n’hésitaient pas à y amener étagères et petits meubles pour les rincer à grande eau après les avoir frottés vigoureusement au savon noir et à la brosse à chiendent. Les hommes quant à eux venaient à la belle saison y laver bouteilles et autres tonneaux, vidés durant l’année de leur précieux contenu. Pour Auguste Ollivier et Félix Grimaud c’était l’endroit idéal pour traquer – dans l’eau limpide du bassin – les fuites des chambres à air de toutes sortes, préalablement mises sous pression. Au mois de novembre, Jean Roux, bouilleur de cru occasionnel, installait son alambic tout près de la fontaine disposant ainsi de toute l’eau nécessaire au refroidissement de l’appareil ; toujours beaucoup de monde autour de l’alambic pour se réchauffer -par ces temps de froidure- auprès du foyer où un feu d’enfer était maintenu avec d’énormes bûches de fayard, mais aussi pour goûter au nectar divin, produit de la distillation, lorsque le client, content de sa récolte se montrait généreux ; la gnole, la blanche et autres eaux de vie de poire ou de prune étaient alors appréciées à leur juste valeur.

Durant la dernière guerre aussi la fontaine a dû s’adapter aux besoins du moment en permettant aux propriétaires de véhicules – autos et camions – équipés d’une carburation au gazogène de nettoyer très régulièrement les filtres et organes divers de leur installation, encrassés par le résidu de la combustion du charbon ou du bois, utilisés comme carburants de remplacement, très imparfaits mais incontournables à l’époque.

Enfin du fait de la présence de plusieurs étables dans la basse rue, la fontaine servait aussi d’abreuvoir pour les bêtes de somme.

Dans une ruelle perpendiculaire à la Basse Rue – à la hauteur de la maison de Séraphin Jarjayes – mon oncle Gustave avait une étable pour ses bêtes de trait :un grand mulet plutôt ombrageux dont il fallait se méfier et un énorme cheval au poil roux que l’on appelait « Bijou » ; d’une stature impressionnante cet animal d’un poids de 5 à 6 quintaux avait un arrière train aussi imposant qu’une armoire normande et lorsqu’il était en plein effort on restait pantois devant l’énorme puissance qu’il dégageait ; mais le plus étonnant c’était que cette force pure n’avait d’égale que la douceur et la gentillesse de ce cheval. Le jeudi jour de congé scolaire, je ne manquais jamais l’occasion – alors que j’avais 5 à 6 ans – de suivre mon oncle dans ses travaux agricoles avec bien sûr Bijou attelé à une charrette ou un instrument aratoire ; mon plus grand bonheur : tenir les guides ou monter à califourchon sur son immense dos et, lorsque pour le récompenser de ses efforts, j’étais autorisé à lui présenter un morceau de sucre dans ma minuscule main, il prenait délicatement la friandise du bout des lèvres sans aucune brusquerie. Inutile de préciser que dans ces moments là, je me prenais pour le nombril du monde...

Rentrés à l’écurie il fallait s’occuper des bêtes ; d’abord les nourrir en emplissant le râtelier de fourrage, grâce à une trappe pratiquée dans le plancher du grenier au dessus de l’étable puis préparer une litière fraîche et enfin les abreuver ; pour le mulet mon oncle s’acquittait de cette tâche avec un seau, sans quitter l’étable puis avec un petit sourire entendu, il me disait : tu veux bien conduire Bijou à la fontaine ? ; point n’était besoin de me répéter l’invitation et nous partions tous deux, équipage disparate sans doute, mais conscient de la mission qui m’était ainsi confiée, je prenais mon rôle très au sérieux.

A l’époque la Basse Rue n’était pas encore goudronnée et la terre battue de cette voie comportait pas mal de trous et de bosses redoutables pour les petites jambes d’un garçonnet ; il m’arrivait donc de chuter plusieurs fois sur le parcours pourtant réduit qui conduisait à l’abreuvoir. Dans ce cas là, il se produisait quelque chose d’extraordinaire : le cheval s’arrêtait net, son énorme sabot ferré en suspension dans l’air, puis il baissait lentement la tête afin que le licol se trouve à ma portée et lorsque mes mains s’étaient agrippées à cette bouée de sauvetage, avec d’infinies précautions, il me remettait debout, prêt à repartir. Arrivés tant bien que mal à la fontaine, mon Bijou se désaltérait à grandes lampées dans le bassin ; après avoir étanché sa soif, il me signifiait en secouant la tête – ce qui avait pour conséquence de m’asperger copieusement – qu’il fallait rentrer et nous faisions demi-tour pour rejoindre l’écurie où l’attendait une litière fraîchement renouvelée.

Au fond de ma mémoire je conserve un souvenir ému de ce cheval dont le comportement avait pour le petit garçon que j’étais, quelque chose de magique.

Je dois aussi à la vérité de dire qu’en mon absence Bijou se rendait tout seul à l’abreuvoir ; de là à penser que l’accompagnateur n’était pas celui que l’on imagine...

Place de la Fontaine
© Essaillon
Guy BERNARD