L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 22
Les noms de famille à Séderon
Article mis en ligne le 29 septembre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par DETHÈS Romain

Notre nom de famille fait partie de notre patrimoine intime. Nous en avons hérité dès la naissance et nous avons grandi avec lui. Il marque notre identité, symbolise la continuité, la famille, fait partie intégrante de notre vie quotidienne et aussi de notre histoire. Mais quelle est son origine, sa signification ? Depuis quand existe-t-il ?

Petite histoire de nos noms de famille...

Afin de bien comprendre le processus de formation de nos noms de famille, il faut remonter au Moyen-Age et plus précisément aux environs du XIIème siècle. A cette époque, nos ancêtres ont un et seul nom, reçu à la naissance ou au baptême. Ils s’appelaient alors Richard, Jacques, Jean... Or, à partir du XIème siècle, on assista à un important essor démographique qui se prolongea jusqu’au milieu du XIVème siècle environ. Cette augmentation considérable de la population eut des conséquences très importantes et multiples. L’une d’elle fut que le nombre de personnes portant le même nom individuel ou de baptême se multiplia. Ce qui provoqua la confusion dans les villages entre les différents Richard, Jacques, Jean. Afin d’éviter ces homonymies entre les individus d’une même communauté, nos ancêtres eurent recours à des surnoms dès le XIIème siècle. A partir du XIIIème siècle, ces surnoms, qui au départ n’étaient que viager deviendront peu à peu des noms de famille héréditaires et se transmettront ainsi de génération en génération avec ou sans quelques transformations.

Catégories de noms de famille...

Ces surnoms de personnes se répartissent en quatre catégories : les noms d’origine, les noms de baptême, les noms de métiers et les sobriquets.

  • Les noms d’origine constituent la catégorie de surnoms la plus ancienne Ils se divisent en deux groupes : les noms de provenance et les noms de voisinage. Ainsi, lorsqu’un nouveau venu s’installait dans un lieu, ses voisins lui donnaient le nom de son village d’origine précédé le plus souvent de la préposition de. En ce qui concerne les noms de voisinage, ils font référence à l’environnement topographique où habitaient nos ancêtres : celui habitant près d’un ruisseau fut surnommé Durieu ou encore celui dont la maison était près d’un pont... Dupont.
  • Pour la catégorie des noms de baptême, à l’époque, le prénom que porte une personne n’a pas d’homonyme dans le village qui est peu peuplé ou bien sa popularité suffit à l’imposer. Son prénom ne nécessite donc pas l’attribution d’un surnom. Le nom unique de l’individu qui le porte se transformera donc en un surnom attribué aux personnes vivant sous son toit et à ses descendants. Ces noms de famille sont donc, à l’origine, des prénoms courant au XIIème siècle. C’était des prénoms chrétiens, germaniques ou bien des diminutifs, dérivés de ces derniers. A ce niveau, il est particulièrement important de noter qu’avoir un nom d’origine germanique ou latine ne signifie absolument pas avoir des origines germaniques ou romaines. En effet, ces noms germaniques se sont généralisés au Vème siècle, soit sept à huit siècles avant la formation de nos noms de famille. Ainsi, lors de l’attribution de noms de baptême à l’époque de la formation de nos patronymes, nos ancêtres d’alors, lorsqu’ils se sont surnommés, n’avaient plus aucune conscience de la signification de ces noms. Pas plus que les parents qui aujourd’hui prénomment leur fils ou leur fille Claude n’ont conscience que ce prénom romain provient du latin Claudius signifiant à l’origine « boiteux ».
  • Les noms de métiers apparaissent dès le XIIème siècle et connaissent leur apogée au XIIIème siècle. Cette catégorie de patronymes indique tout simplement l’activité exercée par l’individu qui a à l’origine reçu ce surnom.
  • Les sobriquets sont enfin des surnoms basés sur les particularités physiques, morales, filiatives ou de caractère de nos ancêtres. Ils étaient attribués parfois à juste titre mais le plus souvent avec une certaine ironie.

Les patronymes à Séderon...

Je me propose ici de présenter la signification de quelques noms de famille de notre village à partir d’une liste des habitants de Séderon dressée en 1791. Ce recensement avait été établi suite au décret du 13 janvier 1791 sur la contribution mobilière qui prescrivit l’établissement du rôle (liste de contribuables) de tous les habitants en indiquant leur profession, leur état civil, le nombre de leurs enfants, s’ils étaient citoyens actifs et ce qu’ils payaient au titre de la contribution foncière. Toutefois, ce recensement fut laissé à la charge des départements et à l’appréciation des autorités communales. Ainsi d’une commune à l’autre on ne trouve pas toujours les mêmes indications. En ce qui concerne Séderon, le rôle dressé le 2 février 1791 comprend les noms, prénoms des chefs de familles par maison et le nombre de personnes y demeurant.

Le recensement se présentait comme suit :
(l’orthographe d’époque a été respectée).
Maisons Nombre des personnes
qui ÿ sont
Arnaud Jacques 6
Aubert Marc 3
Aubert Valentin 9
Barier Joseph 2
Beauchan Jean 5
Beinet Jean Jean 6
Bonnefoÿ Agathe 4
Bonnefoÿ Agnès 5
Bonnefoÿ Charles 4
Bonnefoÿ Claude 4
Bonnefoÿ Denis 9
Bonnefoÿ Elisabeth 1
Bonnefoÿ François 7
Bonnefoÿ Jean Louis 7
Bonnefoÿ Joseph 5
Bonnefoÿ Joseph 9
Bonnefoÿ Joseph 6
Bonnefoÿ Louis 4
Bonnefoÿ Louis 2
Bonnefoÿ Sebastian 5
Bonnefoÿ debais Jean louis 7
Bordel Andre 4
Bordel François 10
Bordel Jacques 6
Bordel Jean François 6
Bordel Joseph 7
Bordel Louis 6
Borel Jean Baptiste 6
Borel Louis 6
Brachet André 6
Brachet Louis 11
Bremond Claude 2
Bremond Reÿné 3
Bruix Jean Michel 6
Brusset Dominique 5
Chanüel Jean 3
Chanuel Joseph 3
Charras François 2
Chastel Marc 4
Chauvet Jean Baptiste 9
Conil Baudille 4
Conil Pierre 3
Constantin Jacques 1
Constantin Jean Martin 4
Constantin Louis 3
Cornand Antoine 3
Courtois Louis 3
Curnier François 3
Dethes André 7
Dethes Antoine 6
Dethes Charles 4
Dethes Charles 8
Dethes François 4
Dethes Jean 10
Dethes Joseph 6
Dethes Jullien 5
Dose Jean Baptiste 1
Dumond Antoine 7
Dumond Joseph 3
Dumond Joseph 3
Eÿdoux Jean Baptiste 2
Le nommé Eydoux 4
Eÿraud Blaise 4
Eyseric Jean François 6
Faure Jean Antoine 5
Galli Charles 2
Garcin Toussain 9
Gautier François 4
Girard Estienne 5
Girard Louis 7
Girard Pierre 5
Giraud 2
Gouiran Jean 4
Granchan Jacques 3
Grimaud Joseph 1
Guilermin Jean Antoine 4
Imbert Guilhaume 5
Jean Antoine 5
Jean François 7
Jouve Catherine 3
Jullien Antoine 1
Jullien Jacques 2
Jullien Joseph 6
Jullien Louis 5
Jullien Louis 3
Jullien Paül 5
Jullien Paül 8
Lambert Agathe 1
Lambert Jean 5
Lambert Paül 4
La Maranne 1
Marin Joseph 5
Masse Jean Baptiste 3
Mathieu Claude 5
Michel Jean 5
Michel Joseph 4
Mourier Joseph 7
Mourier Pierre 4
Negre Dominique 4
Noir Paül 4
Pascal Claude 1
Pascal Claude 3
Pascal François 1
Pascal Jean 5
Pascal Jean 2
Pascal Jean Joseph 9
Pascal Jean Louis 4
Pascal Jean Louis 3
Pascal Jean Louis 5
Pascal Joseph 5
Pascal Louis 3
Pascal Pierre 2
Pelegrin Pierre André 5
Pellat Jean 5
Plaindoux Dominique 5
Plaindoux Jean Louis 4
Plaindoux Jean Pierre 6
Plaindoux Marguerite 4
Quabert Pierre 2
Le Raoux 4
Recordier Jean Louis 6
Reÿnaud Jean Baptiste 6
Reÿnaud Paül 5
Reÿnaud Lacroze Charles 4
Reÿnier Estienne 2
Reÿnier Estienne 2
Ricou Charles 1
Ricou François 4
Ricou Jean 4
Ricou Jean 8
Ricou Mathieu 5
Roubaud Antoine 6
Roubaud François 12
Roubaud Joseph 3
Roux Antoine 2
Roux Hilarion 5
Roux Marie 3
Taxil Pierre 6
Thomé Jean 9
Thomé Jean Louis 1
Total 644

En 1791, on recense ainsi 644 Séderonnais répartis dans 141 maisons. On compte par ailleurs 65 noms de famille différents. Ce faible nombre de patronymes (comparé à celui d’autres villages de population similaire) laisse présager une certaine endogamie de la communauté. Par ailleurs, tout village, même très ouvert sur l’extérieur, a ses patronymes dominants, à plus forte raison les villages qui sont difficiles d’accès. Ainsi, à Séderon, certains noms de famille sont communs à de nombreuses maisons et représentent une fraction importante de la population. Les patronymes Bonnefoÿ, Dethes et Pascal rassemblent 165 individus et représentent à eux trois plus du quart de la population totale du village. Les Jullien, Bordel, Ricou sont aussi des patronymes répandus à Séderon que l’on rencontre d’ailleurs souvent dans des actes notariés du village dès la fin du XVIème siècle.

Mais entreprenons, à partir d’ouvrages spécialisés (cf. références), d’élucider la signification de certains noms de famille Séderonnais encore portés aujourd’hui. Et rappelons que pour les noms qui à l’origine étaient des noms de baptême, leur signification, à l’époque ou ils deviennent des surnoms, est depuis longtemps oubliée.

  • Beauchan ou Beauchamp qualifiait à l’origine une personne vivant près d’une terre de bonne qualité ;
  • Bonnefoÿ une personne particulièrement honnête ;
  • Bordel était le surnom donné a une personne habitant une borde, en vieux français : une petite ferme,
  • Borel qualifiait à l’origine une personne qui molestait souvent ses voisins ;
  • Chastel était le surnom d’une personne vivant près d’un château
  • Chauvet fut attribué à une personne ayant souffert de calvitie très jeune.
  • Dethès : surnom donné à un individu originaire de Thèze,
  • Dumond : d’une personne habitant près d’un mont.
  • Faure désignait le forgeron,
  • Gautier ou Gauthier était le surnom du bûcheron d’après le vieux mot gaulois « gaut » désignant la forêt.
  • Girard : dérivé d’un ancien nom de baptême d’origine germanique formé de deux mots signifiant lance et fort
  • Jean : d’après le saint apôtre dont le nom signifie en hébreu Dieu accorde.
  • Jullien : d’après le saint qui portait le nom d’une famille romaine de l’Antiquité.
  • Lambert, inspiré d’un ancien nom de baptême d’origine germanique formé de deux mots signifiant terre et célèbre.
  • Mathieu : d’après l’apôtre évangéliste dont le nom en hébreu signifie don de Dieu.
  • Michel : inspiré de l’archange dont le nom en hébreu signifie pareil à Dieu.
  • Pascal : d’après le prénom dérivé de Pâques.
  • Reynaud : d’après le prénom d’origine germanique Raynault.
  • Reynier : d’un ancien nom de baptême d’origine germanique formé de deux mots signifiant conseil et armée.
  • Roux surnom donné à une personne aux cheveux... roux.

Quelques éléments de réflexion...

Même si près de cinq siècles séparent ce recensement de la formation des noms de famille, on peut penser que la plupart des patronymes listés ont été formés à Séderon. En effet, si notre village était indubitablement un lieu de passage on peut douter qu’il ait été un pôle d’attraction : durant ces cinq siècles, l’ingratitude du sol alliée à une forte croissance démographique (du XIème au milieu du XIVème siècle) ont certainement plus contraint de nombreux séderonnais à émigrer qu’elles n’ont incité des familles étrangères à s’installer dans le village. Ainsi, dans la perspective d’un recensement constitué de patronymes qui pour la plupart sont nés à Séderon, on peut déduire certaines hypothèses concernant la structure de notre village à l’époque de la formation de nos noms de famille aux XIIème et XIIIème siècles grâce à l’onomastique, science qui étudie les noms propres.

Ainsi, la forte proportion de patronymes qui à l’origine étaient des noms de baptême laisse entrevoir une population en nombre réduit. En effet, la faible population n’a pas permis le développement d’homonymies préjudiciables à la dénomination des séderonnais entre eux. Aussi, les nombreux noms de baptêmes sont-ils tout naturellement devenus des patronymes. Ces derniers, pour la plupart empruntés au registre des saints chrétiens marquent fine influence prononcée de la religion chrétienne présente d’ailleurs dans tous les autres villages du royaume. L’onomastique nous apprend également que les patronymes basés sur des noms de lieu sont particulièrement répandus dans les villages qui à l’origine étaient constitués d’habitats dispersés. Or on peut remarquer dans ce recensement la rareté de cette catégorie de patronymes. Aussi, Séderon — aux XIIe, XIIIe siècles — aurait été un village très concentré géographiquement et où les habitants vivaient très regroupés.

Enfin, la rareté des patronymes basés sur des noms de lieux de provenance permet d’entrevoir une communauté Séderonnaise très fermée où peu « d’étrangers » se seraient fixés. Ceci corrobore l’hypothèse — déjà mentionnée — d’une endogamie prononcée au sein de notre village.

En conclusion...

L’étude des patronymes anciens des habitants d’un village permet de livrer quelques informations sur son passé car les surnoms à l’origine de nos noms de famille ont été fortement influencés par l’environnement naturel, social et économique du village dans lequel ils sont nés. C’est donc cette communauté qui a donné naissance à nos noms de famille, et au-delà de toute considération patronymique, elle a conditionné et marqué la vie de nos ancêtres. Mais n’oublions pas aussi que ce sont ces mêmes habitants qui ont modelé, construit l’histoire de leur communauté. Et l’histoire d’un village reste avant tout celle de ses habitants, de ces familles Séderonnaises qui au travers de leur travail, leur volonté, leur infortune aussi, ont façonné au cours des siècles l’histoire de Séderon.

Romain DETHÈS

– Références –

  • « Les noms de famille et leurs secrets » par J-L. Beaucarnot
  • « Histoire de la France rurale » – tome 1 – par G. Duby
  • « Origine des noms de familles » par E. Hubert
  • « ... sur l’onomastique » par M.T. Morlet dans la revue « Enquête sur l’histoire » n° 11
  • Pour le recensement : Archives Départementales de la Drôme (cote du document : L 781)