Histoire
Le 15 avril 1821, Napoléon 1er dresse son testament. La dernière partie de celui-ci est consacrée aux soldats qui ont combattu pour la France de 1792 à 1815. Il leur lègue alors la moitié de son patrimoine privé [2]. Cependant, avec la Restauration, les biens de l’empereur sont intégrés au Trésor Royal et il faudra attendre l’arrivée au pouvoir du neveu de Napoléon moins de 30 ans plus tard pour honorer les dernières volontés de l’Empereur.
Le 10 décembre 1848, Charles Louis Napoléon Bonaparte est élu premier président de la République Française au suffrage universel avec plus de 74 % des voix. Désireux de poursuivre son action face à une assemblée d’opposition, il assoit son pouvoir par un coup d’État le 2 décembre 1851 et met fin à la seconde République. En 1852, il restaure l’empire sous le nom de Napoléon III [3].
Il institue la médaille de Sainte-Hélène pour de multiples raisons : d’une part respecter les dernières volontés de son oncle et honorer les vétérans, d’autre part pour « légitimer » son pouvoir, le mettre en perspective avec celui de Napoléon Ier et enfin conforter sa popularité auprès du peuple en « démocratisant » les récompenses honorifiques [4].
Une première évaluation courant 1857 chiffra à un peu moins de 400 000 en France et à l’étranger le nombre de potentiels bénéficiaires. Ce projet nécessita une imposante organisation au niveau international, national, départemental et communal. Après des débuts chaotiques, au niveau national, ce sont les maires qui furent chargés de dresser la liste de leurs administrés qui avaient combattu de 1792 à 1815.
La médaille
Elle a été dessinée et réalisée par le sculpteur Désiré Albert Barre.

À l’avers se trouve le profil de l’Empereur Napoléon 1er. Au revers on peut lire ce texte :
« Campagnes de 1792 à 1815.
À ses compagnons de gloire, sa dernière pensée, Sainte-Hélène 5 mai 1821 ».
Elle est présentée dans une boîte de carton au couvercle recouvert d’un papier blanc glacé portant en relief l’Aigle Impérial et l’inscription « Aux compagnons de gloire de Napoléon 1er – Décret du 12 août 1857 ». Cette médaille de bronze est portée à la boutonnière, suspendue à un ruban vert et rouge à raies très étroites.
Un brevet était joint à la médaille.
Les médaillés de la Drôme
La procédure de dénombrement commença dès le 15 août 1857. Ce jour-là, le Préfet de la Drôme reçut le télégramme [5] (photo 1) du Ministre de l’Intérieur dans lequel il était stipulé que les préfets devaient dresser rapidement « un état des militaires qui ayant servi de 1792 à 1815 ont droit à la médaille instituée par le décret du 12 de ce mois ».
Dès le 16 août 1857, le Préfet de la Drôme envoya donc une lettre [6] (photo 2) aux maires de son département leur demandant de dresser la liste dans leur commune des anciens militaires ayant servi de 1792 à 1815 et la lui renvoyer.
Le 24 août 1857, le Ministre de l’intérieur adressa une nouvelle dépêche télégraphique [7] aux Préfets afin d’accélérer le recensement : « En donnant des ordres aux maires, qui, directement dans les communes et par les commissaires de police dans les villes, connaissent facilement leurs administrés, vous devrez obtenir que chacun d’eux vous donne sa liste dans un délai maximum de deux ou trois jours ».
Aussi, le 25 août, le Préfet de la Drôme relança les maires par nouveau courrier [8] (photo 3) requérant l’envoi avant le 30 août de l’état de tous les militaires de leur commune « toute affaire cessante ».
Enfin, suite aux listes établies dans la Drôme et transmises au Ministre de l’Intérieur, le Préfet de la Drôme reçut le 26 octobre 1857 « quatre caisses contenant ensemble 3577 médailles de Sainte-Hélène ».
Le 16 novembre 1857, le Préfet de la Drôme écrit : « Monsieur le Ministre, J’ai fixé la distribution des médailles de Sainte-Hélène aux vieux débris [9] de nos anciennes armées au 15 de ce mois, jour de la fête de Sa Majesté l’Impératrice et anniversaire de la bataille d’Arcole. La remise de ces médailles a été faite au chef-lieu du Département par le Préfet et aux chefs-lieux des arrondissements par les Sous-Préfets et par les Mairies dans toutes les autres communes. J’ai taché de donner à cette remise dans le chef-lieu du Département toute la solennité possible. J’avais fait décorer une grande salle destinée aux archives. Les bustes de Napoléon 1er et de Napoléon III ornaient la salle, des écussons sur lesquels étaient inscrits les noms des grandes batailles régnaient dans le pourtour de la salle, des guirlandes de verdure surmontaient ces médaillons et étaient elles-mêmes surmontées par des trophées d’armes et de drapeaux. Les officiers de la garnison entouraient les autorités sur une estrade établie au fond de la salle… ». Le 5 décembre 1857, une autre lettre suivra : « Monsieur le Ministre, Les faits qui ont produit le plus d’impression sur la population du département dans le courant du mois qui vient de s’écouler sont : 1° l’arrivée du nouvel Évêque et ses visites dans les principaux centres, il a été bien accueilli partout et il plaît ; 2° la distribution de la médaille de Sainte-Hélène aux vieux militaires, cette distribution a été faite avec solennité le 15 novembre jour de la fête de sa Majesté l’Impératrice et anniversaire de la bataille d’Arcole. On ne peut se faire une idée de l’effet que les médailles produisent sur les vêtements et sur la population toute entière, en recevant la médaille, ces braves gens la baisaient, j’en ai vu qui pleuraient et ils criaient Vive Napoléon III de bien bon cœur. (…)
L’institution de cette médaille est fort populaire et a fait éclater dans toutes les communes un véritable et très vif enthousiasme pour l’Empereur et pour l’Empire non seulement de la part des vieux vétérans, mais encore de la masse de la population. Je n’ai à signaler aucun fait politique. Les esprits sont calmes et la tranquillité la plus parfaite règne dans le Département. Je continue à donner l’exemple de l’oubli, de la conciliation et de l’union. […]. Le préfet de la Drôme, Ferlay ».
Séderon
A Séderon, la liste des médaillés de Sainte-Hélène [10] fut la suivante :
Brulat CharlesDethès FrançoisDethès Jean-BaptisteDumond Pierre JosephImbert GuillaumeJullien DominiqueJullien Jean CharlesPascal DominiquePascal FrançoisReynaud Louis
Sur la base des archives d’état-civil de Séderon, des registres de conscription, des histoires des régiments, nous avons tenté de présenter ici quelques informations sur ces vaillants soldats séderonnais encore vivants en 1857…
Charles Brulat est soldat dans le 67e régiment de ligne de 1813 à 1815 [11] qui participa aux campagnes d’Allemagne, de France et affronta les armées coalisées dans les batailles de Leipzig en 1813 et d’Arly en 1815.
François Dethès (dit Gouiran ou Gouirau) est né le 18 messidor An III de la République (6 juillet 1795) à 1 heure du matin à Séderon. Il est le fils de Charles Dethès (dit « Quatre ») cultivateur et d’Élisabeth Gouiran (ou Gouirau) et issu d’une fratrie de 8 enfants dont 5 décéderont prématurément. Il est soldat dans le 11e régiment de ligne de 1814 à 1815 [12]. Le 26 mai 1815, il épouse Marie Anne Recordier. Ils auront 9 enfants dont 4 seulement atteindront l’âge adulte : François Fortuné, époux de Marie Magdeleine Dumond, s’installera à Blida en Algérie ; François qui se marie deux fois et exercera successivement les métiers de cuisinier, chirurgien dentiste puis… rentier à Marseille ; Joseph époux de Henriette Pascal ; et une fille Victoire qui épousera Paul Brun. Cultivateur, François Dethès exercera également la fonction de garde champêtre à Séderon durant de longues années. Il décède le 17 octobre 1865 à Séderon âgé de 70 ans dans sa maison sise à la Grand-rue. Son épouse Marie Anne Recordier décédera peu après le 23 décembre 1867.
Jean Baptiste Dethès est né le 14 juillet 1793 à 4h du soir à Séderon. Il est le fils d’Antoine Dethès et de Marie Rose Chauvet. Son père décède peu avant sa naissance le 14 juin 1793. Près de 20 ans plus tard « à la séance du recrutement du 21 novembre 1812, il est envoyé à l’hôpital militaire de la division pour y être traité d’un ulcère sur le métatarse du pied gauche. Il sera ensuite convoqué pour un second examen » [13] à l’issue duquel il devient soldat dans le 5e régiment de ligne en 1813 [14]. Ce régiment sera notamment engagé dans les batailles d’Espagne cette année-là. Célibataire, rentier, il décédera le 14 janvier 1878 à Séderon dans sa maison quartier de la Bourgade âgé de 84 ans.
Pierre Joseph Dumond est le fils de Joseph Dumond et de Thérèse Conil. Il passe un bail à ferme à Séderon le 6 juillet 1807 étant « conscrit et à la veille de partir pour les armées de sa majesté l’empereur et roi », le 22 octobre 1810, il annule le bail étant « voltigeur dans le 67e régiment d’infanterie de ligne, 3e bataillon en permission dans ses foyers ». [15] Il sera ainsi voltigeur dans le 67e régiment de ligne de 1807 à 1814 [16]. Les bataillons du 67e régiment furent répartis entre le service mer, Wagram et la campagne de Russie en 1812. Son régiment affronta aussi les armées coalisées dans la bataille de Leipzig en 1813. Cultivateur, il épouse Magdeleine Jullien le 21 Juillet 1814 à Séderon. Il décède le 6 avril 1868 à 5h du soir à Séderon dans sa maison au quartier des Manens à l’âge de 79 ans. Il est veuf et retraité « sans profession ».
Guillaume Imbert est né le 5 avril 1774. Il est le fils de Louis et Suzanne Jouve. Il est volontaire le 9 vendémiaire An II. [17] Il fut tambour dans le bataillon de Nyons de 1793 à 1804 [18]. Il épouse ensuite Catherine Adrian et exerce le métier de tailleur d’habits. Il décède le 24 mars 1858 à 6h du soir à Séderon dans sa maison quartier de la basse rue à l’âge de 84 ans.
Dominique Jullien est né le 12 frimaire An III de la République (2 décembre 1794) à 6 heures du matin à Séderon. Il est le fils de Louis Jullien, cordonnier, et de Thérèse Avon. Il est soldat dans le 13e régiment de ligne de 1813 à 1815 [19] – régiment qui mènera la campagne d’Allemagne et affrontera les armées coalisées dans la bataille de Leipzig en 1813. Cardeur à laine, il épouse Anne Marie Jean le 28 février 1832 à Séderon.
Jean Charles Jullien est le fils de Jean Jullien et de Magdeleine Conil. Il est soldat dans le 67e Régiment de ligne de 1813 à 1815 [20] qui fit les campagnes d’Allemagne et de France et affronta les armées coalisées dans les batailles de Leipzig en 1813 et d’Arly en 1815. Il est propriétaire cultivateur et épouse Marie Quenin. Il décède le 20 février 1874 à 3h du matin à Séderon dans sa maison quartier de la Bourgade à l’âge de 81 ans. Son épouse décédera le 28 octobre 1881 à Séderon.
Dominique Pascal est né le 28 fructidor An II de la République (14 septembre 1794) à Séderon. Il est le fils d’Alexis Pascal et de Marie Agathe Plaindoux. Il est soldat dans le 53e régiment de ligne de 1813 à 1815 [21]. Cultivateur à Barret de Liourre, il épouse Claire Pascal à Séderon le 16 mai 1825. Veuf, il décède le 18 janvier 1866 à 4h du soir à Séderon dans sa maison quartier de la Rosière à l’âge de 72 ans. François Pascal est voltigeur (fantassin d’élite affecté aux premières lignes) dans le 25e régiment de ligne de 1793 à 1806 [22] qui fit les campagnes d’Italie, d’Égypte et s’illustra à la bataille d’Austerlitz en 1805.
Louis Reynaud est aussi voltigeur mais dans le 102e régiment de ligne de 1814 à 1815 [23]. Il exerce ensuite la profession de cultivateur. Il épouse Agathe Bontoux et décède le 12 avril 1865 à 7h du soir à Séderon dans sa maison quartier de la Grand-Rue à l’âge de 77 ans. Philippe Truchet est soldat dans le 42e puis 106e régiment de ligne de 1813 à 1815 [24]. Il exerce la profession de cultivateur et épouse Sophie Rémusat. Il décède le 13 janvier 1863 à 6h du soir à Séderon dans sa maison quartier de la Bourgade, veuf et âgé de 70 ans.
Dès le 29 décembre 1857, le secrétaire général de la Grande Chancellerie [25] adressa un courrier [26] au Préfet de la Drôme l’invitant à lui faire parvenir les listes supplémentaires contenant les noms des anciens militaires du département qui avaient négligé de se faire inscrire sur l’état Général de la Drôme. « Aussitôt que j’aurai reçu et vérifié ce nouveau travail, je m’empresserai de vous adresser mes Médailles et Brevets de Sainte-Hélène destinés à ces titulaires ». Mais il n’y eut pas d’autres Séderonnais sur cet état supplémentaire…

