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« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

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Lou Trepoun 48
Amédée Théolas soldat poète
Article mis en ligne le 23 novembre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par RIXTE Jean-Claude
Les soldats de la guerre 14-18 qui écrivaient du front étaient rarement portés vers la poèsie mais il est des exceptions.
C’est un Drômois de Taulignan, resté poète en étant soldat, que Jean-Claude RIXTE nous fait connaître par le texte suivant qu’il nous a aimablement communiqué.
Ce reportage en vers sur l’atmosphère des tranchées vaut bien un film !
Amédée Théolas, auteur taulignanais de langue d’oc.

Taulignan : Association des Onze Tours - Daufinat-Provença, Tèrra d’òc, 2000.

Amédée Théolas, sa vie

Né le 26 mars 1877 à Taulignan, Amédée Théolas fut d’abord séminariste, peut-être à Montélimar, puis ouvrier-boulanger et homme de service à Taulignan. Gazé pendant la guerre de 1914-1918, il obtint à son retour des tranchées un emploi de gardien à la Chambre de commerce de Marignane où il mourut le 9 décembre 1940. Le 4 février 1902, il avait épousé à Curnier Marie-Henriette Genin, née le 8 août 1883 à Eyragues et décédée à Marignane le 27 août 1960, dont il eut trois enfants.

Son œuvre

Amédée Théolas est l’auteur, en français, de poésies de circonstance composées à l’occasion de fêtes familiales, baptêmes ou mariages (épithalames), et de textes humoristiques à propos de divers événements, professionnels ou même politiques, de la vie quotidienne. Ses pièces en langue d’oc, dans le registre de la galéjade, sont des plus savoureuses.

Manuscrits et inédits, ces textes ont été disséminés et seuls subsistent deux cahiers et un carnet actuellement en possession de M. Fuzet, son petit-fils, à Taulignan. Les pièces datées permettent de situer la production de ce qui nous est parvenu – à une exception près – dans les années 1906 à 1916.

Ces écrits révèlent un auteur plein de verve et de malice, peu respectueux de l’ordre établi, parfois iconoclaste sinon révolutionnaire et toujours prêt à dénoncer les abus d’où qu’ils viennent, église, pouvoir ou patrons. Habile pamphlétaire, il sait aussi à l’occasion se montrer tendre, lyrique, romantique même. Mais c’est surtout l’image d’un gai luron qui s’impose, celle d’un joyeux farceur plein d’entrain à la langue bien pendue, beau parleur et fort en gueule ; bref, un amoureux des mots, donc un poète.

Souvenirs du front

Telle est bien par ailleurs l’impression que semble avoir laissée Amédée Théolas à ceux qui l’ont connu. Nous en voulons pour preuve ce témoignage retrouvé sous forme d’un feuillet séparé inséré dans le premier cahier contenant ses poésies. Il s’agit de la lettre manuscrite que lui adresse l’institutrice de la commune de Saint-Brice Courcelles [1] après son départ du front et qui apporte un éclairage des plus intéressants non seulement sur notre auteur mais également sur la vie quotidienne dans la zone des tranchées.

Saint-Brice Courcelles, ce 24 / 6 / 1915, jeudi soir


Monsieur,
Merci mille fois de votre gracieux envoi qui m’a été très sensible.
En recevant votre missive, j’ai tout d’abord été rassurée sur votre sort et celui de votre régiment parti pour une destination inconnue – (laquelle ? « secteur C9 » cela est aussi vague que concis…) – destination que je suppose assez éloignée des Boches pour avoir été préservée jusqu’ici et avoir laissé quelques loisirs poétiques à Monsieur Théolas…
En plus, j’ai été charmée de la fidélité de mémoire du talentueux et disert poète du 111e qui a bien voulu se souvenir de St-Brice et chercher encore une fois à être très agréable à des Amis de hasard, de passage, qui compteront dans leurs meilleurs souvenirs de guerre la connaissance faite de ces gens du Midi – « Méridionaux gens d’esprit » – sympathiques au possible chacun dans leur genre.
J’ai donc lu, Monsieur, vos jolis vers sur « Les Tranchées » et les joins à ceux que j’ai le vif plaisir de posséder déjà, me proposant bien d’en faire apprécier la savoureuse fantaisie à plus autorisés que moi – dût votre modestie en souffrir.
Que ne puis-je vous dire (ayant reçu du beau ciel du Midi l’inspiration sacrée ou la façon primesautière de chez vous de tourner la galéjade, en votre antique « langue d’oc » ) combien je voudrais avoir assisté à ces Jeux floraux du Félibrige, connaître Maillane, avoir vu Mistral autrement qu’en gravure… – les fêtes dauphinoises et vauclusiennes, rhodaniennes, méditerranéennes et d’Orange en 1894 et depuis les autres dont j’ai entendu parler ; car, par atavisme sans doute, (la vieille et bien effacée institutrice de St-Brice n’est pas champenoise d’origine) je pourrais dire comme Félix Gras

« Ame toun vilage maï moun village
Ame to Prouvenço maï que mo prouvinço »
et la Franço maï que tout
 [2]

Mais le sort a voulu que je vive parmi ces « Gensses du Nord » ! péchère ! dont l’humour « sourit quand il faut pouffer et pince sans rire quand il conviendrait de rire sans pincer » … pauvre de moi… comme je dis souvent – en souvenir d’une collègue que j’aimais beaucoup et qui était de Carcassonne – et je ne peux, Monsieur Théolas, vous remercier que très prosaïquement du délicieux quart d’heure que j’ai passé à relire vos jolis vers et vous assurer que j’ai eu bien du plaisir à vous connaître.
Je n’oserais vous dire que nous serons toujours très heureux d’avoir de vos aimables poésies ; j’ajoute que nous serions très heureux de savoir revenus à bon port dans leurs chères familles ceux de ces Messieurs du 111e, vos camarades que nous avons eu le plaisir de connaître plus particulièrement et vous-même.
Veuillez recevoir, encore une fois, Monsieur Théolas, avec mes remerciements, l’assurance de mon meilleur souvenir et mes voeux de chance et de santé.

Signé [J. Muzin ? ] [3]

P. S. Le 111e a été remplacé par le 35e de ligne déjà parti et il n’y a plus de troupes à St-Brice. Le canon s’est tu et on bombarde de moins en moins à Reims. Serait-ce bientôt la fin ? … au moinsse !!

J-C Rixte