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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 32
Grivannes, Herboriste-Distillateur à Séderon
Article mis en ligne le 4 octobre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par POGGIO André

En concluant mon texte « un séderonnais héros de roman » dans le n° 24 du Trepoun, j’avais lancé un appel aux lecteurs pour qu’ils recherchent les objets ou toute autre trace physique portant le souvenir de l’activité professionnelle de Grivannes à Séderon. Quelques années sont passées, sans écho, et je pensais que l’histoire s’arrêterait là. J’avais tort. Le hasard s’en est mêlé et de quelle manière : découvrir une brochure publicitaire signée Grivannes !

A dire vrai, je n’ai fait que voir l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours. Mais j’ai une photo de l’ours : c’est un opuscule de format 11 x 14 cm, comportant 32 pages dont voici la première de couverture

Opuscule Grivannes
© Essaillon

A défaut de pouvoir vous reproduire les 32 pages, je vais essayer d’en faire un résumé fidèle.

Grivannes débute par une profession de foi « LA SANTE POUR TOUS ou Médecine naturelle des plantes » qui nous apprend qu’il ne cherche qu’à être utile à ses semblables – que s’il a appris son métier en Kabylie (où il aurait séjourné plus de 15 ans), le plus gros de ses connaissances vient d’un manuscrit de Mr l’abbé Thoard qui fut « curé des Abeilles, commune de Monnieux (Vaucluse) » – et qu’il est lui-même « inventeur de plusieurs produits végétaux dont l’efficacité a été reconnue dans mon pays et dans tous les environs, témoin les nombreuses attestations des personnes qui ont été guéries radicalement, ainsi que celles de plusieurs maires et docteurs dont vous trouverez quelques noms à la fin de cette brochure. »

Vient ensuite une liste des produits, avec indication du prix de vente majoré des frais d’envoi par la Poste (nous voilà en présence d’un catalogue de vente par correspondance).

  • Lotion Grivannes (contre les affections du cuir chevelu et de la peau) – 4 francs le grand flacon
  • Pommade Grivannes (contre les douleurs rhumatismales) – 3 francs le pot
  • Élixir Grivannes (produit tonique et vermifuge) – 4 francs le demi-litre
  • Lotion d’essences aromatiques réunies Grivannes (contre les engorgements des poumons, bronchites)
  • Coricide Grivannes (contre les cors aux pieds et durillons) – 1fr.25 le grand flacon
  • Dentifrice Grivannes – 0fr.60 le petit flacon

et un message « POUR LES INCURABLES – Grivannes, herboriste à Séderon (Drôme), se fera toujours un plaisir de vous faire connaître les plantes qui pourront vous soulager et surtout vous guérir, en lui expliquant bien les symptômes et le début de la maladie. »

Suivent plusieurs pages de « recettes et premiers secours » dont j’ai sélectionné quelques titres

  • Dépuratif du sang
  • Pour combattre les démangeaisons et les irritations de la peau
  • Contre les piqûres d’animaux venimeux
  • Contre les crevasses des mains, des lèvres et des seins des nourrices
  • Antiseptique pour panser les plaies
  • Pour l’asthme

Puis une page intitulée « TABLEAU des contre-poisons que l’on peut administrer »

Enfin « QUELQUES ATTESTATIONS que vous jugerez de votre mieux »

Ces attestations valent qu’on s’y attarde. J’en recopie certaines, toujours in extenso :

« Nous, Maire de la commune de Lachau, canton de Séderon. Certifions que les personnes de cette commune qui ont fait usage de la Lotion préparée par M. Grivannes, distillateur à Séderon, contre la pelade et affections de la peau, nous ont déclaré avoir été radicalement guéries, nous avons pu nous rendre compte nous mêmes de cet heureux résultat et de l’efficacité de son emploi.

En foi de quoi nous avons délivré le présent certificat. A Lachau, le 22 avril 1897

Vu la légalisation de la signature du Maire, MATHIEU

Le Sous-Préfet »

Quelquefois, c’est le client reconnaissant qui témoigne directement :

« Depuis l’âge de huit ans, j’étais atteinte d’une maladie de cheveux ayant résisté à tous les traitements que m’avaient ordonnés de très bons docteurs ; j’avais même été obligée d’avoir une fausse chevelure.

Il y a quelque temps, j’eus le bonheur de m’accompagner avec M. Grivannes, qui me donna connaissance de son produit.

J’employais immédiatement sa lotion et je certifie qu’au bout de deux mois, j’ai eu la tête couverte de cheveux.

Je ne puis que faire les éloges de cette excellente Lotion préparée par M. Grivannes, et je la recommande à toutes les personnes atteintes de cette désagréable maladie comme un remède efficace et radical.

GOURJON Gabrielle Institutrice en congé à Villefranche (Drôme). »

Évidemment, Monsieur le Maire atteste :

« Nous, Maire de la commune de Villefranche, certifie que la demoiselle Gourjon Gabrielle, institutrice native de Villefranche, était atteinte d’une maladie de cheveux ayant résisté à tous les traitements et a été guérie radicalement en deux mois par l’emploi de la Lotion Grivannes.

Le Maire ESPIEU »

Il y a naturellement les certificats des confrères officiels :

« Le médecin Giraud, médecin cantonal à Séderon (Drôme) déclare que M. Grivannes, distillateur – herboriste à Séderon, a guéri par l’usage de ses plantes et de ses produits, beaucoup de personnes des environs, dont j’ai eu l’occasion de m’en convaincre, c’est pour cela que je délivre le présent certificat pour servir à M. Grivannes.

GIRAUD, médecin cantonal, Séderon (Drôme) »

Et ceux des amis politiques du chef-lieu de canton :

« Nous, Maire de la commune de Séderon, certifions que les personnes de cette commune qui ont fait usage de la Lotion préparée par M. Grivannes contre la pelade, nous ont déclaré avoir été complètement guéries, et que nous mêmes nous nous sommes rendu compte de l’efficacité de ce produit. En foi de quoi nous avons délivré le présent certificat.

Pour le Maire absent, l’adjoint à la Mairie, AUMAGE »

J’ai gardé la meilleure pour la fin :

« Atteint depuis plus d’un an de la pelade, et après avoir employé plusieurs médicaments qui n’avaient produit aucun effet, j’employais la Lotion Grivannes, deux flacons ont suffi pour obtenir au bout d’un mois une guérison radicale.

ASTAUD Léopold, à Sisteron, Basses Alpes. »

Même si Grivannes le domicilie à Sisteron, ce qui après tout n’est pas inconcevable bien que non confirmé par la tradition familiale, ce Léopold là ressemble comme deux gouttes d’eau à mon grand-père. Et vous connaissez depuis le Trepoun n° 25 les connivences entre séderonnais. De plus, voilà un certificat qui avait le mérite d’étendre au département voisin le champ de la renommée de notre herboriste.

Deux petites remarques : la première c’est que la lotion pour les cheveux est à l’évidence le produit porteur du commerce de Grivannes ; la seconde, c’est que les mots « radical » ou « radicalement » sont utilisés presque systématiquement – à l’époque du radical-socialisme, notre conseiller municipal affichait-il ainsi ses couleurs politiques ou employait-il simplement le vocabulaire à la mode ?

Les attestations sont parfois datées et vont de 1897 à 1902. Ce sont les seuls jalons pour dater le document car hélas l’Imprimerie A. Nourry – Valréas n’a pas millésimé son travail.

Je referme provisoirement la petite histoire de Grivannes, avec l’espoir qu’un grenier me livrera quelque élément nouveau. Mais surtout cherchez bien si vous n’êtes pas l’heureux possesseur de cette brochure qui fût sans doute tirée et distribuée en un nombre conséquent d’exemplaires : il s’agit d’un document important pour la mémoire de Séderon.

André POGGIO
avril 2002