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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 06
La justice de paix à Séderon
Jean MATHONNET

Dépôt légal : ISSN 0983-2092

Article mis en ligne le 14 septembre 2013
dernière modification le 13 août 2019

par MATHONNET Jean

Aujourd’hui la solennité des audiences, le vocabulaire particulier des juges, les méandres de la procédure, sont autant d’éléments qui font de l’institution judiciaire un rouage de nos sociétés dont certains mécanismes échappent aux citoyens. De plus pour les ruraux et parfois pour les citadins, l’éloignement des tribunaux s’ajoute aux facteurs précédents.

Hier, le juge de paix, par sa présence physique dans les campagnes les plus reculées, donnait de la justice une toute autre image. Chaque semaine à l’audience, les affaires se dénouaient : c’était là l’occasion unique pour tous les habitants de « vivre » la justice, de s’identifier à celle-ci.

SÉDERON comptait une justice de paix et aujourd’hui sont encore nombreux ceux qui se souviennent de tel ou tel juge de paix, de tel ou tel greffier, des audiences au cours desquelles les affaires les plus importantes pouvaient mobiliser le canton.

Tous les actes de la justice de paix de SEDERON sont consignés, années après années, dans le registre des actes de justice de paix aux Archives Départementales de la Drôme. C’est à partir de ces documents que j’ai tenté de reconstituer quelques fragments de l’histoire de cette institution qui a disparu aujourd’hui de notre organisation judiciaire.

1- ORIGINE DE LA JUSTICE DE PAIX

Le 4 août 1789, les justices seigneuriales et la vénalité des offices de judicature étaient supprimées. Le 24 mars 1790, l’Assemblée Constituante affirmait qu’il était nécessaire de repenser l’ordre judiciaire dans son ensemble.

C’est la loi des 16 et 24 août 1790 qui met en place dans ses grandes lignes les juridictions de l’ordre judiciaire que nous connaissons aujourd’hui.

A la Révolution, l’organisation judiciaire se présentait avec des juridictions civiles et pénales.

  • Au civil, il existait deux degrés de juridiction : la justice de paix et les tribunaux de district. Chaque canton comptait une justice de paix. Le Juge de paix était élu pour 2 ans par les citoyens actifs avec comme seule condition d’éligibilité l’âge de 30 ans. Il était aidé de deux assesseurs.

Il avait une triple compétence :

  • en premier et dernier ressort pour les affaires inférieures à 50 livres
  • avec appel au tribunal de district si les affaires étaient comprises entre 50 et 100 livres
  • rôle de conciliation pour les affaires supérieures à 100 livres.

Il était Juge d’instruction pour les crimes.

  • Au pénal l’organisation judiciaire se présentait ainsi :
  • le tribunal de police municipal dans chaque commune connaissait des contraventions. Il était composé de 3 juges choisis par le conseil municipal parmi ses membres
  • le tribunal de police correctionnelle dans chaque canton compose de 3 Juges connaissait des délits. Il était présidé par le Juge de paix, assisté de 2 assesseurs ou de 2 autres Juges de paix dans les villes d’importance
  • le tribunal criminel connaissait des crimes.

La Constitution de l’an III apportera des modifications à fois à l’organisation et aux attributions des justices de paix. Il était apparu en effet que chaque commune ne pouvait avoir son tribunal municipal de simple police, en conséquence le juge de paix devenait compétent non seulement en matière civile, mais aussi sur le plan pénal.

Ainsi les tribunaux de police dans chaque commune furent remplacés par des tribunaux de police établis dans chaque canton. Aux tribunaux correctionnels du canton on substitua d’autres tribunaux dont le nombre variait dans chaque département suivant l’effectif de la population (de 3 à 6 par département).

Le tribunal de police cantonal était composé d’un auge de paix et de 2 assesseurs. Tous ces juges étaient élus et rééligibles. Le juge de paix avait un mandat de 2 ans. Sa compétence s’étendait aux délits qui n’amenaient pas une peine de plus de 3 jours de prison. Ses décisions étaient sans appel. Mais, juge des petites affaires civiles et pénales, il ne présida plus le tribunal correctionnel.

Après le coup d’état du 18 brumaire, les juges de paix furent débarrassés de leurs assesseurs, remplacés par des suppléants.

C’est une loi du 28 janvier 1801 et 2 lois du 20 mars 1801 qui sont à l’origine de la justice de paix, telle qu’elle fonctionnera pendant tout le XIXe siècle et une bonne partie du XXe siècle. L’organisation judiciaire sous le Consulat et l’Empire se présentait alors de la manière suivante.

  1. Au civil, on trouvait :
    • le juge de paix, théoriquement élu mais qui depuis 1802 était nommé par le Premier Consul. A la fois conciliateur et juge des petites affaires, il juge seul assisté de ses suppléants.
    • le tribunal d’arrondissement (l’équivalent du tribunal de district). C’est le tribunal d’appel des décisions du juge de paix et des affaires plus importantes.
    • la cour d’appel.
  2. Au pénal, on trouvait :
    • le juge de paix compétent pour les affaires de simple police
    • mais il n’avait plus le pouvoir d’instruire les affaires criminelles
    • le tribunal correctionnel compétent pour les délits. Il reçoit aussi les appels des sentences rendues par le juge de paix
    • le tribunal correctionnel départemental

La Restauration, le Second Empire et ensuite la 3ème République n’apporteront pas de changements significatifs à l’organisation judiciaire et aux pouvoirs des juges.

Le fondement de cette justice de paix à la vie longue se trouvait dans la nécessité d’un conciliateur proche des habitants. Mais la crainte était grange aussi d’une multiplication des procès : le juge sécrétant le procès !

2- LA JUSTICE DE PAIX A SÉDERON

a) La compétence des juges de paix

La compétence de chaque tribunal, c’est-à-dire les affaires qu’il peut juger, se définit à partir du lieu du litige et de sa nature.

Le lieu du litige définit la compétence territoriale, ainsi il existe pour chaque tribunal une circonscription. Avant que le juge de paix ne s’installe à SÉDERON, celui-ci était à MONTBRUN. Dans l’arrondissement de NYONS, la circonscription de MONTBRUN comprenait AULAN, BARRET-de-LIOURE, FERRASSIÈRES, MONTBRUN, MONTFROC, POET-en-PERCIP, REILHANETTE, La ROCHETTE et SÉDERON. LACHAU, MÉVOUILLON, LABOREL, IZON et EGALAYES dépendaient de MONTAUBAN.

Une loi du 30 novembre 1801 réduisit le nombre des justices de paix et fixa pour la Drôme leur nombre à 28. Dès lors le juge de paix est à SEDERON et la circonscription comprend AULAN, BALLONS, BARRET-de-LIOURE, EGALAYES, FERRASSIÈRES, IZON, LABOREL, LACHAU, MÉVOUILLON, MONTAUBAN, MONTBRUN, MONTFROC, MONTGUERS, REILHANETTE, SÉDERON, VERS, VILLEBOIS et VILLEFRANCHE. Le texte était signé BONAPARTE, Premier Consul.

La nature du litige définit aussi la compétence du juge de paix. Celle-ci est à la fois contentieuse (il tranche alors dans les conflits qui opposent des personnes) et gracieuse (il concilie les parties). Au contentieux, il a une compétence civile (il connaît par exemple du possessoire dans les actions en possession) et pénale (termes arrachés, dégradations, ruisseaux détournés de leur cours, etc...)

b) Le mandat des Juges de paix

Les juges de paix seront élus jusqu’en 1801, c’est-à-dire une seule fois. Ensuite ils seront nommés par l’autorité politique. Au moment de sa nomination, des états parviennent au préfet où l’on indique l’âge du juge, s’il a des infirmités, quel est l’état de sa santé physique et morale, quelle est la capacité du fonctionnaire, sa conduite : judiciaire morale, publique, ses moyens d’existence. Ainsi peut-on lire sur un de ces états à propos de la nomination d’un juge à SÉDERON, « plus apte à taire ces affaires qu’à exercer une justice de paix ». Le Juge avant de rentrer en fonction prêtait serment.

Sa compétence gracieuse le conduit à désigner un tuteur, à poser et à lever des scellés, à prendre des actes conservatoires pour les mineurs, etc...

En outre, le juge de paix recevait le serment des gardes-champêtres.

Procès GUÉRIN
© Essaillon

Entre Monsieur Louis brachet maire à Séderon
remplissant les fonctions de Commissaire de police
demandeur aux fins de l’exploit donné à sa rêquête
par exploit de Villiet huissier, le vingt sept janvier
dernier enregistré, tendant à ce que l’individu cy
après nommé soit condamné, avec dépens, à l’amende
par lui encourue, pour avoir donné à boire et à manger,
dans son cabaret durant les offices divins, à des particulier
de la commune, ainsi qu’il resulte du procès verbal dressé
par Monsieur Bertrand Brigadier de la Gendarmerie
résidant à Séderon le premier janvier dernier rescencé et
enregistré, comparant en personne d’une part ; Joseph Guerin
aubergiste domicilié à Séderon, comparant en personne
d’autre part ; Lequel a repondu qu’ayant eut tort de
tenir son cabaret ouvert durant les offices divins, il
consent à payer l’amende :
Nous Jean Denis Beaudille JULLIEN juge de paix
du Canton de Séderon, département de la Drôme, tenant le
Tribunal de police dudit canton, Vu le procès Verbal
Dont il a été fait lecture par notre greffier, Vu
L’aveu du contrevenant, à la requete de Monsieur
Le Maire de Séderon, condamnons Joseph Guerin
Cabaretier domicilié à Séderon, pour avoir donné
à boire et à manger le premier janvier dernier durant
Les offices divins, à des particuliers de la commune
à l’amende de cinq francs, de conformité à l’article

Procès GUÉRIN
© Essaillon

Trois de la loi du dix huit novembre 1814
ainsi conçu, dans les villes dont la population est [au]
dessous de vingt mille ames, ainsi que dans les bourgs
ou villages, il est deffendu aux cabaretiers, caf[etiers]
Limonadiers et maîtres de billard de tenir leurs
maisons ouvertes et d’y donner à boire et à jouer #
# pendant les offices divins
Les contraventions seront constatées par proces [verbal]
Et les deliquants punis d’une amende qui pour
La première fois ne pourra être moindre de cinq
francs, le Condamnons de plus aux depens que
nous avons sommairement liquidés a la somme
de neuf francs vingt cinq centimes, dont cinq
francs cinquante centimes enregistrement
un franc septante cinq centimes papier et
deux francs depens ; ainsi jugé à Séderon, dans
le lieu ordinaire de nos séances, a[u]jourdhui deux
fevrier mil huit cent vingt six, par Nous juge
de paix soussigné avec notre greffier
Enregistré ... pour un franc dix centimes le deux courant
a Séderon le six fevrier 1826 f° 139 V° case 3
Bonnefoy

c) La justice de paix au quotidien


Année Actes Année Actes Année Actes Année Actes
1802 90 1809 127 1816 132 1823 105
1803 141 1810 128 1817 140 1824 135
1804 119 1811 174 1818 128 1825 180
1805  ? 1812 138 1819 126 1826 177
1806 140 1813 83 1820 133 1827 139
1807 90 1814 105 1821 96 1828 122
1808 112 1815 99 1822 107 1829 138

Les actes soumis à enregistrement comprenaient des appositions de scellés, des jugements en police, des jugements d’incompétence, des procès verbaux de non conciliation, de nomination d’arbitre, des prestations de serment, des actes de notoriété, des nominations de tuteurs et subrogés tuteurs, etc... Jusqu’en 1808 les enregistrements se faisaient à MONTBRUN. A partir de 1809 ceux-ci seront enregistrés à SÉDERON. Chaque enregistrement donnait lieu à la perception d’un droit. Exemple, en 1828, acte de notoriété, tutelle, enquête : 2 F 20, compromis : 1 F 10, prestation de serment : 3 F 30.

De tous les actes du juge de paix, les jugements de simple police du tribunal de paix étaient sans doute ceux qui attiraient le plus de monde dans le prétoire et amenaient le plus de commentaires parmi la population.

Pour l’année 1876 par exemple ce n’est pas moins de 78 jugements de simple police qui seront rendus. Certaines affaires jugées à l’époque n’ont pas perdu de leur actualité. Si l’environnement économique a profondément changé, les mœurs ont évolué beaucoup moins vite !

  • passage dans la propriété d’autrui : 26 jugements
  • dépôt de fumier sur la voie publique : 16 jugements
  • maison en ruine sur la voie publique
  • abandon d’instruments aratoires sur la voie publique
  • chien errant
  • vente de boissons illicites
  • grappillage sur la propriété d’autrui
  • maraudage sur la propriété d’autrui
  • café ouvert à une heure indue
  • glanage sur la propriété d’autrui
  • tapage nocturne : 8 jugements
  • animal domestique mort non enfoui
  • dégradation sur la voie publique
  • incendie involontaire

L’audience était hebdomadaire. Jusqu’en 1863 celle-ci se tenait le mardi à partir de 9 h du matin. A partir de cette date, elle sera fixée le vendredi à la même heure et, enfin à partir de 1888 le samedi matin à 10 h.

Le greffier, à chaque séance, garnissait la feuille d’audience.

Un de ces jugements est reproduit ici. Il opposait en 1820 le sieur BRACHET, alors maire de SÉDERON et agissant comme commissaire de police, à un cabaretier en infraction avec la loi pour avoir donné à boire et à manger durant les offices divins.

d) Les personnels de la justice ce paix

La collection de l’Annuaire de la Drôme a permis de dresser le tableau suivant mais il n’a pas été toujours possible de donner l’identité de tous les personnels de la justice de paix. Le lecteur pourra éventuellement compléter les cases vides du tableau.


La justice de paix, née de la Révolution, allait ainsi traverser plusieurs régimes. C’est la loi du 22 décembre 1958 qui modifiera l’implantation et l’organisation de la compétence des tribunaux. Le tribunal civil de première instance qui avait pour ressort l’arrondissement sera remplacé par le tribunal de grande instance qui siègera au chef-lieu du département et la justice de paix installée dans le cadre du canton sera remplacée par le tribunal d’instance dans le cadre de l’arrondissement.


JUGES DE PAIX SUPPLÉANTS GREFFIERS ANNÉES D’EXERCICE
CASSAN (juge de paix à Montbrun) LAMBERT MANUEL à partir de 1795
BARBEYRASSI REYNAUD-LACROZE puis ROUX BEAUCHAMP puis
BONNEFOY de BAIX
à partir de 1802
JULLIEN " " à partir de 1804
VIENS " " en 1832
REYNAUD-LACROZE ROUX puis MAUDUECH et BRACHET en 1839 " de 1833 à 1839
MONNIER " ROMAN de 1840 à 1855
 ? " " en 1856
PERRIOT " " en 1857
DE BAVILLIERS " " de 1858 à 1860
CHANU " " de 1861 à 1867
TOURREL " " en 1868
GUERIN " " en 1869
MOULIN " " en 1870
 ? " " en 1870
PERRIN " CHARRAS à partir de 1873 en 1872 et 1873
ARTAUD REYNAUD, puis BERNARD à partir de 1877 " de 1874 à 1877
VIAL de SABLIGNY " " en 1878
CAZES " " en 1879
PASTOREL de CABRIERES " " de 1880 à 1887
ARMAND " " de 1888 à 1892
CONSTANTIN " " de 1893 à 1896
BERTRAND " REYNAUD à partir de 1897 de 1897 à 1901
BARRET SELVES et BERNARD à partir de 1902 " en 1902
DELAUGLADE " " en 1903
GAUTHIER BERNARD et PAYRE-FIRST à partir de 1913 ROMAN
à partir de 1913
de 1904 à 1914
 ?  ?  ? de 1915 à 1919
BRUNET BERNARD et ARMAND à partir de 1932  ? de 1920 à 1933
 ? "  ? de 1934 à 1936
GOYARD "  ? en 1937 et 1938
JACQUEMIN "  ? de 1939 à 1947
GAUTHIER "  ? en 1948
GICQUEL (juge de paix à Crest) "  ? en 1949 et 1950
Le juge de paix de Buis-les-Baronnies BERNARD et SAYSSE à partir de 1951  ? de 1951 à 1956