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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 40
Premiers pas au collège
Article mis en ligne le 12 octobre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par DELSART-MICHEL Paule

Je m’appelle Phil. J’ai 11 ans et il s’appelle Grimaux ce collège où je rentre pour la première fois, (gris mot) ou maux gris. Pas très engageant pour un collège ! Cela me fait broyer du noir. Pourquoi pas rose ? Mots roses, c’est plus gai quand même ! Quoique… « Morose » ça n’est pas très gai non plus…ou motif. Il y en a plein des motifs dans ce collège :

Les motifs de punition : les profs en ont plus d’un dans leurs sacs !
Les motifs d’absence : j’en trouverai, faites-moi confiance !
Les motifs de présence : hum ! Il faut voir !
Les motifs de décoration : ça, il y en a :

Par ci, par là, quelques pots sont juchés, des pots de fleurs bien sûr, pour décorer mais je suis mal dans ma peau, je ne peux apprécier. Au rez-de-chaussée, le pot-au-feu et la poule au pot mijotent. Ça se sent ! Et l’odeur attire un tas de po-tiches et de potaches (cela dépend du potentiel intellectuel de chacun) qui s’empiffrent en deux coups de cuiller à pot. Sans tourner autour du pot, disons que ce n’est pas très po-i, mais ce n’est pas non plus de la cuisine très sophistiquée qui mériterait plus d’égards, c’est un peu à la fortune du pot !

Enfin ! J’ai du pot, on ne m’oblige pas à avaler.

A la tête de cet édifice, se trouve le Principal qui gère ses subordonnées et un tas d’indépendantes qui s’interrogent directement ou indirectement et participent pour conjuguer leurs efforts. Le résultat est relatif ou dépend des circonstances, du temps, du lieu des « pourquoi » et des « comment », des conditions, des concessions et des comparaisons. Ensemble ils analysent puis ils décident. C’est logique !

Parfois les décisions sont impératives et doivent s’exécuter illico … ou simplement indicatives.

En dessous de tout ce monde il y a des élèves : ceux qui écoutent, obéissent, répondent, ceux qui s’accordent en genre et en nombre plus ou moins bien, suivant qu’ils sont placés avant ou après les uns des autres et qui se groupent pour former le premier, deuxième ou troisième … groupe, bien sûr ; des élèves bien plus vieux que moi, qui s’exclament, s’interrogent, se mettent à l’écart, entre parenthèses quoi, pour discuter, disserter, comploter, refaire le monde. La conclusion n’est pas évidente, elle reste en suspension. Et puis, il y a moi, tout seul, dans un coin, effacé comme un article élidé.

A droite, à gauche, devant, derrière, je devrais paraît-il, voir un point. Parce que, dans ce collège on se perd facilement. Les couloirs sont tous pareils, les salles toutes identiques, les portes les fenêtres se ressemblent ; alors il faut se fier à ce point.

« Un point, c’est quoi ?
— Une figure géométrique paraît-il ! La plus petite ! Et qui, de plus, se déplace ! Et qui, en se déplaçant, a le don d’engendrer !
— Ça alors ! …Ça me fait penser à ces petites bêtes rouges et noires, les gendarmes comme on les appelle. Elles se déplacent toutes collées les unes derrière les autres et il paraît que c’est pour engendrer. Mais elles, ces petites bêtes, elles engendrent des êtres de leur espèce. Eh bien, le point, non ! En se déplaçant, il engendre une ligne. C’est contre nature ! Mais je ne vois toujours pas ce point. »

« Mais c’est un point cardinal, me dit mon voisin : Nord, Sud, Est, Ouest, tu ne le verras jamais !
— Ah !... A quoi ça sert alors les trucs qui doivent être des repères si on ne les voit pas ? »

Et pourtant, je ne suis pas aveugle, je vois bien les points qui tombent sur mes copies, toujours des points qui n’ont rien à voir avec les points cardinaux mais que l’on écrit avec un cardinal, des notes quoi, bonnes ou mauvaises : les bonnes dont on se fait un point d’honneur et les mauvaises dont il n’y a pas de quoi en faire un drame ni même s’en ronger les poings tout juste de quoi faire le point et mettre les points sur les « i ».

Il paraît qu’il y a aussi des points de fusion ! J’en fonds en larmes !… Et des points de non retour ! J’en suis toute retournée !... Ma mère m’avait appris toutes sortes de points mais ne m’avait jamais parlé de ces deux-là : j’avais appris le point devant et le point arrière, ça n’avançait pas beaucoup ! Le point de croix, un vrai calvaire ! Le point d’épine, Aïe ! Aïe ! Aïe ! Le point de chausson, c’était très douillet ! Et puis le point bourdon. C’est bien celui-là qui me gagne aujourd’hui ! Alors je cours, je cours, dans tous les sens, vers tous les points de la rose des vents, je veux retourner chez moi, m’échapper, fuir. Mais, aïe ! Un point de côté me bloque là, devant une porte, juste celle où il ne fallait pas s’arrêter. Une main magistrale me ramène au point de départ. Je me sens très mal en point. Je reçois probablement une semonce que je ne perçois pas. J’entends seulement les mots de la fin :

« Les cours, c’est par là !
Votre choix, les enfants, c’est “ travail ou travail ” Point, barre ! »

C’est quoi encore ce point-là ?

© Essaillon
Paule DELSART