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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 35
L’amoutagnage à Séderon (1ère partie)
Article mis en ligne le 4 octobre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par MERCIER Geneviève

Comment m’est venue l’idée d’écrire sur la transhumance à Séderon alors que je ne séjournais jamais au mois de mai-juin ou au mois d’octobre dans le village ? C’est en parlant avec un cousin de mon mari, berger à la retraite, ayant toujours habité et travaillé à Maussane-les-Alpilles et que nous ne voyons qu’à de rares occasions, que j’appris tout dernièrement : « à Séderon, bien sûr, nous passions toutes les années en allant et en revenant du Dévoluy, je me souviens… »

Alors moi, qui ne me rappelle que les passages des troupeaux à Carpentras que nous voyions depuis notre école de filles du canton sud, sur le boulevard Albin Durand, ou bien lorsqu’ils stationnaient sur la place toute proche en face de l’hôtel de la Marotte, je ne voulais pas raconter une transhumance éternelle, du fond des âges. D’autres comme Marie Mauron ou Giono l’ont fait avec beaucoup plus de talent avant moi. J’ai donc cherché à Séderon, dans les archives de la mairie, et j’ai trouvé une délibération du conseil municipal du 21 juin 1925, Monsieur Sully Bernard étant maire.

« Monsieur le maire expose au conseil :

— Que les troupeaux transhumants stationnent sur les places de la localité sans payer de redevance pour le nettoyage des lieux occupés.

— Il fait connaître que cette façon de faire nuit à la salubrité du pays et qu’il conviendrait de fixer une taxe qui servirait au nettoyage des emplacements occupés.

— Il propose de fixer cette taxe à 15 francs par troupeau stationnant sur les places et demande à l’assemblée de bien vouloir en délibérer.

Après délibération le conseil municipal décide donc que les troupeaux transhumants payeront une taxe fixe de 15 francs toutes les fois qu’ils stationneront sur les places publiques.

Ces (…) taxes seront versées entre les mains du garde-champêtre qui donnera un reçu détaché d’un carnet à souches.  »

On comprendra, d’après ce qui précède et d’après les quelques témoignages que j’ai recueillis et que vous trouverez ci-après, y compris celui de notre rédacteur chevronné, J.F. Charrol, que la transhumance avait ses bons et ses mauvais aspects. Les enfants ne voyaient que les bons, les édiles que les mauvais. Et les ménagères qui retiraient vite leurs fleurs y trouvaient, ainsi que les jardiniers, une provende très écologique pour faire pousser leurs plantations dès l’année nouvelle.

C’était en tout cas une façon de rythmer l’année, de créer des liens entre ceux du bas-pays et du haut-pays.

La transhumance, c’était toujours pour tous un événement.

Geneviève Mercier

QUELQUES TEMOIGNAGES

Les conversations avec les différentes personnes habitant à Séderon de 1940 à 1954, se sont faites au gré des rencontres, au cours de conversations amicales et, chaque fois, l’intérêt, l’enthousiasme qu’elles suscitaient montraient l’attachement profond et ancestral à cet « amountagnage ». Une vision magique accompagnée d’une musique toute contemporaine.

Une fillette, à l’époque, Yolande R. :

« J’étais très jeune ; j’entendais un grondement, un piétinement augmenter d’intensité peu à peu. Je montais à la fenêtre du grenier et comme ma maison était située au milieu de la grand rue, je voyais une vague, un rouleau, un flot de bêtes depuis l’église jusqu’à la poste. Cela durait longtemps. »

Josette C. était déjà plus âgée et analysait plus concrètement la vie du village :

« Les troupeaux ne sont plus passés dans nos villages au-delà de 1960. Il semble que dix à vingt troupeaux comprenant 1200 à 1500 bêtes chacun montaient et descendaient chaque fois. Ils venaient de Salins-de-Giraud, Maussane, Mazan… Ils allaient dans le Dévoluy. Ils passaient par le col de l’Homme Mort, Séderon, Eygalayes et le col Saint Jean. Je me souviens que les femmes repoussaient « avec leurs escoubes » les moutons pour qu’ils ne salissent pas leurs devant de porte ou le trottoir. Après le passage la rue était couverte de crottes sur deux ou trois doigts. »

Marie-Claire B. était aussi une gamine :

« Papa nous appelait. On entendait de loin les clochettes. On regardait les ânes boire à la fontaine, un panier de chaque côté, avec les agneaux nouveaux-nés. On cherchait le bélier. Plusieurs troupeaux devaient être ensemble car les bêtes portaient des marques différentes. Les gens sortaient pour empêcher les moutons de manger les fleurs.
Jusqu’en 1955 environ les troupeaux passèrent à Séderon. Ils couchaient près de l’église. Ils tenaient toute la place. Ils arrivaient tard le soir et partaient tôt le matin. »

Yvonne D. dit, elle aussi :

« Les agneaux étaient marqués de différentes couleurs avec de la poix. Le bélier était devant ; chaque troupeau comprenait plus de mille bêtes. Deux bergers marchaient devant, deux ou trois étaient derrière. Il fallait enlever les fleurs devant les maisons lorsque « l’escabot » passait. Après c’étaient deux ou trois brouettes de fumier qui devaient être enlevées. »

Paul D. :

« C’était magnifique ; tout le monde sortait, on était heureux. Il y avait peut-être deux mille bêtes. »

Son mari et elle tenaient un café. Jeanne E. se souvient :

« Une voiture genre camionnette chargée de toutes sortes d’objets passait très tôt au café et prévenait du passage des moutons. » Alors Jeanne E. enlevait toutes les fleurs qui étaient sur le passage du troupeau.

Suzanne J. était élève à l’école d’Eygalayes :

« Quelle joie quand les enfants entendaient l’approche des troupeaux. Dès la sortie de l’école ils suivaient longtemps les bêtes qui montaient au col Saint Jean, non par la route actuelle, mais par ce qu’on appelle le « chemin des chèvres » ou « chemin ferré ». C’était un véritable tapis de laine dans toute la rue. »

René P. d’Eygalayes :

« Les troupeaux passaient par le village. Ils venaient de Séderon par la route. Les bergers s’arrêtaient souvent au café, puis par « le chemin ferré », un sentier, tout le troupeau montait droit vers le col ; les ânes passaient par la route. Il y a neuf km de Séderon à Eygalayes. Ils mettaient plusieurs heures. Le troupeau avançait beaucoup plus lentement qu’un homme.
Arrivé au sommet du col Saint Jean, derrière, sur l’autre versant, le troupeau trouvait à manger, car les champs n’étaient que des landes avec quelques lavandes et là, l’escabot passait la nuit.
Il fallait veiller à ce que les moutons ne mangent pas l’herbe des prés appartenant à des propriétaires ayant aussi des troupeaux. »

J. F Charrol :

« Au début de l’été, on voyait passer à Séderon les troupeaux de moutons transhumant de la Provence vers les pâturages des Alpes. On disait « voilà les béliers ! » ce mot étant dans notre esprit devenu synonyme de troupeaux en transhumance. Nous admirions le défilé spectaculaire des bêtes et des hommes.
 
Toujours, à peu près, le même cérémonial : un berger solidement chaussé et vêtu, portant un long bâton aux lanières de cuir, utilisé comme fouet. Puis venaient les béliers aux cornes enroulées munis de forts colliers de bois avec de grosses cloches produisant des sons sourds au rythme de la marche.
André Jacquet

© Essaillon

On voyait aussi des sortes de grandes chèvres et des boucs aux longues cornes en lyre à l’allure méchante lorsque les mouvements menaçants de leur tête faisaient retentir les énormes « sonnailles » attachées à leur cou. Puis passait le gros du troupeau : brebis, jeunes moutons se pressant les uns contre les autres en bêlant. De loin en loin, un homme, un berger, veillait à la bonne marche des animaux. C’était comme un fleuve de laine grise s’écoulant dans la rue principale. Nous regardions sur le dos laineux des bêtes les marques imprimées en rouge ou marron, signes d’identification du propriétaire.
 
A la fin du cortège, d’autres bergers avec des chiens dont il fallait freiner les ardeurs, fâchés qu’ils étaient de n’avoir pas à intervenir puisque la marche était encadrée par les murs des maisons bordant la rue. Enfin arrivaient des ânes lourdement chargés portant des bâts ou des sortes de grands paniers destinés sans doute au portage des agneaux ou des bêtes blessées ne pouvant suivre la route. Quelquefois on voyait aussi une carriole tirée par un âne. Parfois, bêtes et gens s’arrêtaient un moment sur la place du pont afin de prendre un peu de repos. Ils repartaient en direction d’Eygalayes par la route, en prenant, à la Borie, le chemin du Plan qui raccourcit la distance. Après ce village ils prenaient un ancien chemin muletier, bordé de buis qui s’élevait assez rapidement à flanc de colline, traversait l’ubac de « La Combe » face à notre ferme pour rejoindre le col Saint Jean et de là des « drailles » menant au département des Hautes-Alpes. Certains bergers préféraient suivre, au moins partiellement, la route et s’arrêtaient chez nous ou dans un pré, pour faire paître leurs bêtes un moment et les laisser boire au ruisseau.
 
Parfois, en circulant dans l’ubac, au cours de l’été on trouvait parmi les genêts le squelette blanchi d’une bête, vraisemblablement malade au moment de son passage et qui, n’ayant pu suivre le troupeau, était morte là, avant d’être dévorée par des rapaces, nombreux à cette époque, ou par les renards. Il y avait donc des pertes tout au long du voyage.
 
A l’automne, les troupeaux repassaient en sens inverse, selon le même rituel. A Séderon, ils s’arrêtaient parfois sur le bas de la colline actuellement boisée de pins, face à la maison Delhomme, pour quelques heures de repos. »

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Notes :
d’après le « Dictionnaire du monde rural - Les mots du passé - Marcel Lachiver-Fayard-1997 »