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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 43
Noms de lieux et noms de familles autour de Séderon
Article mis en ligne le 24 octobre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par DASPRE André

L’étude des noms de lieux a beaucoup progressé au siècle dernier (je veux dire : le XXe siècle !). On a réussi à trouver l’origine de la plupart des milliers de noms de nos villes et villages. Les plus nombreux viennent du latin, donc à partir du 1er siècle après J-C ; mais d’autres datent de l’époque gauloise, entre le 8ème et le 5ème avant J-C, et même, pour certains, on trouve des traces d’une langue parlée avant l’arrivée des Gaulois.

Un nom, encore en usage maintenant, peut donc venir d’un passé très, très lointain. C’est justement le cas de Séderon dont j’ai déjà parlé dans Le Trepoun (n° 27, juin 2000). Cela n’a rien d’impossible puisque l’on a trouvé près du village des pointes de flèches en pierres taillées qui prouvent l’existence d’une présence humaine à la préhistoire. Cette présence se serait donc maintenue jusqu’à la période historique, et jusqu’à nos jours ! D’ailleurs le nom de Lachau remonte aussi loin que celui de Séderon : Lachau et N-D de Calma sont deux formes de calma qui vient d’une langue pré-gauloise, vers 800 ou 900 ans avant J-C. Au moyen âge, ce mot désigne une « hauteur dénudée ». On trouve Lacam (sud-ouest), La chaux (Jura) le mont Caume (près de Toulon) ou Montcalm avec ce sens là.

La plupart des noms sont beaucoup plus récents et viennent du latin mais on trouve aussi la trace bien marquée des invasions successives des peuples qui se sont fixés sur notre pays : ces noms sont bretons, germaniques, normands, ibères. Ceux qui s’intéressent aujourd’hui à l’identité française ne devraient pas oublier ces réalités historiques qui rappellent la complexité de nos origines.

Ici je voudrais simplement expliquer quelques noms de lieux (des toponymes) et de familles (patronymes) concernant Séderon et les environs. Il y a d’ailleurs un lien étroit entre certains noms de familles et les noms de lieux. Tantôt le nom de famille est celui du lieu près duquel elle habite : Lafont, Laforêt, Dumont, Rivière, Dubois ; d’autres familles portent le nom de leur province d’origine : Picard, Breton, Normand, Champagne, Provence, etc. Tantôt c’est au contraire le nom du propriétaire qui est donné à son domaine et au village (la villa) qui s’y trouve : par exemple Valence vient de valentius, nom latin d’un grand propriétaire foncier.

Ces noms, qu’ils soient très vieux ou plus récents, ont souvent été déformés : longtemps l’état-civil n’a pas respecté l’orthographe comme aujourd’hui. Par exemple, on a écrit Pol au lieu de Paul dans les vieux textes ; quant à la ferme elle n’a pris le nom de la Grandchane que récemment : sur la carte IGN de 1972 on lit encore Grand Champ. Il y avait même une famille Grandchamp et une famille Beauchamp à Séderon et le fils de la première s’est marié à une fille de la deuxième en 1746 comme nous l’apprend G. Poggio (Le Trepoun n° 38 juin 2005). De nos jours il ne reste plus que les Beauchamp !

Autre exemple de déformation : le col de l’Homme mort. On a l’habitude de ce nom et pourtant il a quelque chose de bizarre : quand on choisit le nom d’un col, d’un lieu quelconque on prend un repère fixe, or un « homme mort » ne reste pas longtemps au bord d’une route !

Je crois que le vrai, le premier nom du col a été celui de l’orme mort, car un arbre, même mort, reste bien visible. Et l’on a sans doute fait la même confusion pour le nom de la famille Delhomme parce que dire de quelqu’un qu’il s’appelle l’homme c’est un peu trop vague ! Il faut donc supposer que le vrai patronyme était Delorme, comme on dit Duchêne, Dufrène ou Pommier, Poirier etc. Ce qui confirme cette hypothèse c’est que le nom latin de l’orme est ulmus qui a donné plusieurs noms de villages en Hom : Home (dans l’Orne), l’Homme (Sarthe) Lomme (Nord) etc.

D’autres exemples de noms d’arbres servant de noms de lieux : Vers, qui se retrouve en Savoie et en Bourgogne, vient sans doute du Gaulois vernos, l’aulne, qui a donné aussi vergne, verne, vernet etc. Et Fraissinières vient du latin fraximus, le frêne qui est très fréquent partout en France : Fraisse, Fraissinet dans le midi, le centre et Fresne(s) dans le Nord et l’Est. La Mourier vient du nom provençal du mûrier : mourié ou mourié ; c’est un nom courant dans le sud-est où l’élevage du ver à soie exigeait la plantation de nombreux mûriers mais est-ce que cet arbre peut vivre normalement à notre altitude [1] ? En tout cas, une famille a aussi porté le même nom que la ferme : des mourier figurent sur la liste des protestants qui ont abjuré collectivement en 1685 (voir l’article de Sandy Andriant : dans Le Trepoun, n° 40 de juin 2006). Et sur une vieille tombe adossée au mur du fond du vieux cimetière on lit encore : Dethès Apolinaire (sic), Famille Lamourier (en un seul mot).

Voici quelques patronymes qui indiquent de quel village la famille était originaire :

Barras est un village entre Volonne et Digne ; vient d’un mot gaulois, barro qui désigne un « escarpement rocheux » ; on a aussi plusieurs Barret et Barre, Barrière etc.

Beaume, vient peut-être du gaulois balma qui désigne le pied d’un à-pic, ou une grotte comme pour la montagne de la Sainte Beaume, dans le Var, où aurait vécu Marie-Madelaine. On trouve de nombreux toponymes La Balme, Beaumes-de- Venise (avec une confusion entre Venise et Venaissin !) et avec un diminutif, Les Beaumettes.

Caussade est le nom de plusieurs villages du sud-ouest. Vient du latin (Via) calceata, (route) chaussée où les pierres sont enfoncées dans le sol comme les dents sur les gencives !

Crest vient du latin crista, la crête, le sommet.

Charrol du village de Charols dans la Drôme, vient peut-être du latin vulgaire quadruvium, carrefour de quatre voies.

Daspre vient d’Aspres sur Buech, à partir du latin asper qui désigne une montagne, une hauteur d’accès difficile. On trouve de nombreux Aspromonte en Italie et en Espagne, en France, on a Apremont dans la Meuse.

Naturellement, beaucoup de noms désignent une montagne, une source ou une rivière. Par exemple : Lure, déjà connu d’un géographe de l’antiquité, à rapprocher de Lurs, près de Peyruis, signifie montagne. C’est aussi le sens de Ventoux que l’on est tenté d’expliquer par son exposition au mistral ! Mais ventoux est formé sur une racine vin, ven qui signifie aussi montagne et que l’on retrouve dans Ventabren (Alpes-maritimes, Bouches-du-Rhône) ou Venterol (Alpes de Provence).

Buc désigne aussi une montagne et peut être rapproché de Bouc dans Port de Bouc ou Bouc-Bel-Air ? Avec un autre sens ?

Rieu vient du latin rivus, le ruisseau et Les Iscles est le nom provençal des îles mais je ne vois pas ce qui rappelle une île dans ce quartier ?

Quant à la Méouge, en provençal meoujo, son nom est d’origine encore inconnue et il a été orthographié de façon diverses – ce qui n’est pas surprenant ! On trouve ainsi : Melga (1197, archives des Hautes-Alpes), Meuga (1365, archives de l’Isère), Ripperia de Meusa (?) en 1520 (Terrier de Mévouillon), Meauge (1589, archives de la Drôme), Meuge (1595, parcellaire de Mévouillon) et en 1891, La Méouge ou Meauge ou Meuge dans le dictionnaire topographique du département de la Drôme par J. Brun-Durand.

Le Jabron, qui est aussi le nom d’une petite rivière du Var, date sans doute de l’époque pré-gauloise et désigne un torrent, une rivière.

Albion est à la fois le nom d’un plateau et d’une montagne mais on la trouve aussi, sous une forme raccourcie dans Revest-du-Bion. Revest vient du latin (re-)versus, le versant et Albion est peut-être le nom d’une famille. En provençal on a commencé par dire Lou Revest d’Aubiaon puis, par erreur, on a compris Lou Revest dou Bioun, en deux mots. En français on a repris cette erreur et du Bion remplace Albion à partir du XVIe siècle.

Il reste encore bien des mots à expliquer mais ce sera pour une autre fois !

J’ajoute que j’ai tiré mes informations de l’ouvrage savant de Charles Rostaing, Essai sur la toponymie de le Provence, édité par Laffitte, Marseille 1973 et le petit livre très bien fait d’Eric Vial, Les noms de villes et de villages de France, édition Belin, collection de poche, 1983. A signaler l’ouvrage monumental d’Emile Nègre, Toponymie générale de la France, 3 volumes, soit 1856 pages, publié en Suisse en 1990-91, sans parler des dizaines d’études sur la toponymie d’une région particulière qui sont répertoriées par une commission nationale de toponymie.

André DASPRE