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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 43
Ah ! Mes aïeules !
Article mis en ligne le 24 octobre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par DELSART-MICHEL Paule

« Longtemps, longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu leurs chansons courent encore dans les rues… »

J’avais envie de fredonner cette chanson, il y a quelques jours en cheminant dans les rues de Séderon.

Je m’arrêtais devant la fontaine de la République et je restais pensive devant le lavoir.

lavoir bas

Surgirent alors, comme sortant des profondeurs de ces eaux calmes, sombres et paisibles, les scènes bruyantes de la lessive d’autrefois.

Les lavoirs qui, aujourd’hui, dans de nombreux villages, sont devenus des ouvrages d’art, fleuris en hommage au travail intense des femmes humbles d’hier, havres de paix et de tranquillité, ressemblaient plutôt, autrefois, à une ruche bourdonnante : le va et vient des femmes, l’arrivée et l’écoulement des eaux, les claques des draps jetés dans les bassins, le crissement des brosses, le glissement des cubes de savon passant et repassant sans cesse sur les habits mouillés, le rythme des battoirs, les mouvements de l’eau que la laveuse provoquait en agitant son linge, le frottement insistant du tissu entre des mains habiles aux gestes rapides, sûrs, efficaces et puis le papotage en musique de fond rendant la tâche plus facile, tous ces bruits issus d’une énergie intense ponctuaient la vie de nos aïeules et signaient le déroulement d’un savoir-faire.

lavoir haut

Les opérations effectuées au lavoir n’étaient qu’une partie du travail de « lessive ». Elles étaient précédées et suivies de nombreuses manipulations et je vois dans mes souvenirs quelques lessiveuses au coin du fourneau, je les entends susurrer, chuchoter, je vois tout le cérémonial qui accompagnait cet objet et je sens une bonne odeur de propreté remplir la maison de ma grand-mère, comme celle de la plupart des maisons du village. Je vois aussi du linge éclatant de blancheur étendu près des maisons et les piles de draps, torchons serviettes posées avec beaucoup d’ordre dans les grandes armoires. La lessive s’arrêtait là, dans les armoires rangées, ordonnées, agréables à contempler comme un tableau d’artiste. Juste satisfaction avant de recommencer la semaine suivante.

Ces images se bousculent dans ma tête tandis que je descends jusqu’au pont ; je me penche vers la rivière où d’autres images de femmes lavant leur linge m’envahissent, images générées par les récits de ma grand-mère.

Lorsque je naquis, le temps n’était déjà plus où les femmes allaient à la rivière pour laver leur linge, à genoux sur la paille qui tapissait leur casier, un genre de caisson en bois, ouvert sur un côté par lequel elles se glissaient et s’agenouillaient. Le côté opposé qui touchait la rivière avait un plan incliné. La laveuse posait son linge dessus et savonnait, frottait, foulait, battait. Je n’ai pas cette image dans mes souvenirs d’enfance et pour cause. On sait que les lavoirs furent construits à Séderon en 1910, pour apporter un peu plus de confort et de facilité, à ces femmes qui se gelaient les doigts en hiver et qui ne trouvaient plus assez d’eau en été pour accomplir leur besogne.

Quel dur et inconfortable labeur ! Que d’énergie, que de peine ! Quel courage !

Femmes courbées vers la rivière, femmes à genoux dans vos caissons tapissés de paille, femmes au dos cassé, aux mains gelées, crevassées, déformées, femmes dont les gestes et les voix résonnent encore sur l’eau tranquille des lavoirs, femmes que je crois voir

riviere

autour de ces bassins, je voudrais vous crier pour que vous l’entendiez, pour que vous sachiez que vos soupirs n’ont pas été vains, je voudrais vous crier que le progrès est entré dans nos foyers et a eu raison de ces tâches serviles, répétitives, épuisantes et a libéré toutes les femmes d’aujourd’hui.

Femmes d’autrefois, femmes vaillantes, laborieuses et obscures, femmes d’ici et d’ailleurs, au hasard de ma promenade, longtemps, longtemps, longtemps après que vous ayez disparu, je crois vous voir et vous entendre encore dans nos rues.

Paule DELSART