Bandeau
L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Journal de Campagne
(27 août 1939 – 10 juin 1940)
Article mis en ligne le 30 juin 2020
dernière modification le 19 août 2022

par DELHOMME René

L’Année 1939

27 août

l’affiche blanche portant le n°5 me rappelait à mon devoir militaire. Il a fallu tout quitter !!!

Douloureuse séparation !!!

Ultime espoir de la sagesse des chefs d’États. Je crois encore à l’Idéal de la Paix qui fut le mien et ne peux concevoir une justification dans l’inhumanité de la guerre.

Les événements vont malheureusement prouver le contraire rapidement…

je rejoins donc Laragne, puis Embrun où on m’équipe tout de suite : vêtements, fusil, masque, cartouchière… rien n’est oublié.

La 1ère marche de 25 kms, avec tout l’équipement du fantassin, me jette sur la paille, brisé de fatigue.

Nouvelle prise de contact avec la vie ingrate de l’Infanterie.

2 septembre

Après l’envahissement de la Pologne par le IIIe Reich, l’Angleterre puis la France déclarent la guerre…

MOBILISATION GENERALE

15 septembre

Affectation à la Seyte (05), garnison adossée à la montagne (2 050 m), proche de la frontière italienne… Ici, aucun civil, une véritable retraite !!!

En octobre, direction Mont-Dauphin d’où nous devons embarquer pour une destination inconnue.

Les nuits sont très froides et déjà l’eau commence à geler. Nul doute que bientôt la neige fera son apparition. Je préfère cependant mon nouvel emploi : agent de liaison motocycliste entre le colonel et les bataillons. Je suis donc ici au poste de commandement du colonel…

J’ai constamment sur moi les photos de vous tous et je les regarde souvent, mais chaque fois les larmes montent à mes yeux. Ces photos ont été prises à des moments où nous étions si heureux ! Mais ne parlons plus de ça, car le cafard me prend malgré moi.

Le temps continue à être très beau pour la saison ; le jardin à Séderon doit être encore bien joli. Ah comme nous étions bien tous ensemble !

Enfin, il faut toujours espérer que cette maudite guerre sera courte et qu’un jour bien proche nous réunira.

photo prise devant le casernement à la Seyte

29 octobre

Retrouvaille de ma famille à Guillestre : ma chère femme, ma petite Mireille et mes chers parents. Le petit René est resté à Séderon.

4 novembre

Le départ attendu est fixé.

Nous quittons nos chères Alpes couronnées de neige, notre belle Drôme avec ses couleurs harmonieuses, notre vallée du Rhône toujours riante, pour rejoindre les régions humides et inondées de l’Est jusqu’à Reims puis Rethel…

Les premiers avions de reconnaissance commencent à apparaître.

C’est la guerre en effet !!!

6, 7 et 8 novembre

Notre cantonnement est établi à Saulces Champenoises (Ardennes). Première bonne nuit, malgré les bruits lointains et sourds des canons anti-aériens…

11 novembre

Triste anniversaire de l’Armistice de la Guerre 14-18.

15 et 17 novembre

1ère manœuvre matinale dans cette région étonnamment giboyeuse. Quel plaisir de voir lapins, lièvres courir, sauter et d’assister à leurs ébats et à leurs folles gambades.

Puis grande manœuvre où seul le ronflement des motos trouble le silence…

24 novembre

Nous venons d’assister au 1er combat d’avions et apercevons une traînée grisâtre. Deux avions français prennent en chasse l’appareil allemand qui s’écrase ensuite dans les champs.

C’est la guerre.

Heureusement les chères missives arrivent maintenant régulièrement.

… cette manœuvre s’est très bien passée mais je suis rentré assez fatigué. Il a fallu que je fasse beaucoup de moto dans des chemins épouvantables et surtout en pleins champs. Heureusement qu’il n’a plu ni hier, ni aujourd’hui ; c’est une chance car qu’est-ce que nous aurions pris alors !

28 novembre

A la pluie quotidienne des jours précédents, de blancs flocons commencent à tomber et une légère couche, à demi ternie par la boue recouvre le sol.

Puis le ciel devient gris et sombre, et je ne peux m’empêcher de faire un parallèle entre mon bonheur d’avant guerre et ma douleur d’aujourd’hui.

Les peuples n’arriveront-ils pas un jour à s’entendre ?

… Quatre heures du soir ! Il neige depuis ce matin et la couche commence à devenir épaisse. Tout ce blanc donne plutôt le « noir ».

30 novembre

On me demande si je ne voudrais pas suivre des cours de perfectionnement pour accéder au grade supérieur… certes plus flatteur, mais je ne quitterais qu’à regret le poste de sous-officier de liaison. L’avenir seul saura me donner tort ou raison.

1er décembre

Ce matin, surprise ! Le Colonel, en présence du Maire, me demande si je ne voulais pas faire la classe, pendant quelques jours, en attendant l’arrivée du nouvel instituteur. J’accepte aussitôt, et voilà comment en pleine guerre, j’ai repris mon ancienne fonction dans une classe qui est loin de valoir celle de Séderon.

Enfin, il est déjà bien satisfaisant de pouvoir plusieurs mois après la déclaration de guerre, enseigner dans un petit village. Une suppléante arrive le 8 pour assurer le service. Les enfants ne montraient pas des visages très réjouis… tous les élèves auraient préféré garde le sergent qui avait su les comprendre et surtout les intéresser.

J’aurais bien voulu, moi aussi, vivre encore un peu avec ces enfants que je commençais à connaître et à aimer, mais hélas ! je suis militaire et non instituteur !

17 décembre

Remis de la piqûre (antityphoparatyphoïdique). Deux mauvaises nouvelles :

– le départ tout proche de Saulces vers un autre « quelque part en France ».

– la suppression provisoire des permissions qui m’empêchera de passer Noël chez moi.

Se plaindre à quoi cela servirait-il – il vaut mieux se résigner.

19 et 20 décembre

Direction Reims en motocyclette pour rejoindre Sarre-Union et notre nouveau cantonnement à Hirschland, un village alsacien avec un tas de fumier devant chaque porte.

Aucun doute n’est plus possible, c’est bien vers le front que nous sommes.

25 décembre

Noël !!! les cloches ont sonné bien tristement cette année 1939. Messe de minuit dans un temple prêté obligeamment par le pasteur, car il n’y a pas d’église dans ce village entièrement protestant.

Les autres jours courses en moto à Drulingen, Berg, Sarrebourg sur des routes épouvantables avec le verglas. Au retour de la dernière mission le capitaine nous félicite : « un bon repas et une bonne nuit car demain… ».

30 décembre

Très froid, routes verglacées… Nous rejoignions Reyersvillers après avoir suivi un itinéraire avec des passages non abrités des vues de l’ennemi.

Tout paraît calme à notre arrivée, mais le soir des violents tirs d’artillerie française nous rappelle à la dure réalité. Les allemands ripostent et tentent un coup de main dans les avants-postes français. Puis tout s’est tu soudainement.

31 décembre

Triste dimanche de fin d’année.

Course à un ouvrage sur la ligne Maginot, non loin des lignes allemandes.

Retour de nuit à travers bois, par des chemins épouvantables, sans pouvoir utiliser le phare de la moto, sans connaissance de l’itinéraire, sans carte, ni passant.

L’année 1940

1er janvier

Installé dans une maison abandonnée, je pense à tous ces villages d’Alsace et de Lorraine dépeuplés de leurs habitants. La désolation est entrée dans ces maisons en même temps que leurs occupants en sont partis ; la désolation a pris possession de ces demeures où, il y a quelques mois encore, des familles vivaient heureuses.

Dans les cours, des instruments de travail sont posés sans ordre et l’étable ouverte est dépeuplée elle aussi.

Dans la salle commune, les assiettes, les verres, tout a été laissé à la hâte.

Parfois, ici ou là, un cadre vide. On a emporté la photo d’un être cher… mais à côté, que de reliques laissées, depuis le souvenir du mariage jusqu’aux images pieuses.

Réfugiés d’Alsace ou d’ailleurs, en voyant vos demeures abandonnées, je revois ce qui a dû être votre calvaire.

Dans ces villages où seuls vivent des soldats, les cloches continuent à égrener les heures en attendant qu’elles sonnent à toute volée le retour des habitants.

Puisse que l’année nouvelle apporte bientôt la paix définitive…

Janvier

Le thermomètre accuse chaque nuit, parait-il, -15° à -20°.

En moto, les pieds et les mains surtout se rendent compte que ces chiffres sont réels. Il est certain qu’en été Reyersvillers doit être un coin charmant avec ses bois et son clair ruisseau.

Ma permission est acceptée. Quelle joie d’aller retrouver sa famille chérie, sa maison, son village.

Inutile de parler de ce séjour car les belles heures ne peuvent s’exprimer par des phrases…

Me voici à nouveau seul, dans le froid et la neige. Je reprends peu à peu mes anciennes habitudes avec des courses en moto à Goetzenbruck, Bitche, Fining, Rohrback, Rahling.

Quel froid !!!

Février

Cette nuit, gare à la bagarre. Les 77 et 105 allemands ont envoyé dans nos lignes des obus heureusement sans aucun dégât.

J’ai touché, ce 12 février ma nouvelle moto, une 350 cm³ Kochler-Escoffier (Monet Goyon) type L4A, excellent état, fabriquée en 1935.

Le ciel étant dégagé, nous avons assisté à une bataille entre deux avions qui poursuivaient un troisième appareil. Plusieurs rafales de mitrailleuses, puis…

Encore le froid, la neige, retardant la relève.

Mars

Nous quittons Reyersvillers. Le ronflement de nos motos trouble le silence de cette fraîche matinée de mars. Direction Saint-Louis près Arzwiller (Moselle)

Village avec une seule rue longue et large, et le classique tas de fumier. Je peux apprécier ma bonne chambre et l’amabilité de mes hôtes.

Départ de Saint-Louis par train via Thaon, Épinal, Belfort pour Seppoi puis Bouxwiller (Haut-Rhin) à 25 kms de Bâle. Village bien paisible où les jours s’écoulent monotones mais calmes.

Retour de permission, un peu écœuré par la vie de « l’arrière », joyeuse comme par le passé, avec des réflexions « au fond vous n’êtes pas bien malheureux, ce n’est pas la guerre cela » !

Avril

Le Danemark est entièrement occupé par les troupes motorisées allemandes. La Norvège résiste encore à l’envahissement et s’est déclarée en état de guerre.

Le 140e RIA devant quitter l’Alsace pour des « territoires d’Opérations extérieures », nous allons le remplacer à Oltingue.

Une bien triste nouvelle – mon cher grand-père est décédé le 22 avril. Hélas, je ne pourrai même pas aller à l’enterrement, car une permission exceptionnelle de 3 jours n’est pas accordée pour le décès d’un grand-père. Maudite guerre !

Mon grand-père paternel, Célestin, Achille, Lucien Delhomme, né à Izon en 1850 et donc décédé le 22 avril 1940. Instituteur « dévoué et apprécié », ayant exercé dans plusieurs petits villages de Notre Région

Mai

J’ai fait la tournée des bataillons, Ferrette, Ligsdorff, Bendorf… en moto bien entendu.

Temps toujours pluvieux, et c’est regrettable car la campagne est maintenant parée de ses habits printaniers. Dans la forêt devenue subitement touffue, le vert tendre des hêtres se même au vert sombre des sapins. Charmant contraste. J’ai photographié un de ces paysages, à côté des fils de fer barbelés : la beauté, la splendeur de la nature près des abominables inventions des hommes.

Ce matin, agitation insolite dans le ciel, ronflement de nombreux avions ennemis et tirs de la D.C.A.

La grande bagarre commence.

Quelques pommiers couverts de fleurs roses semblent des bouquets préparés pour offrir à une

personne chère

Départ imminent – se tenir prêt pour 3 heures. Allons-nous rejoindre le Nord de la France où les allemands ont percé ?

C’est ainsi que nous arrivons à la gare de Seppois, puis Troyes, le Camp de Mailly et enfin débarquement à Montmirail. Là, en moto, je rejoins Crogis, près de Chateau-Thierry. Je loge chez un instituteur retraité qui me donne une agréable et jolie chambre en qualité de collègue.

Dans l’école où j’écris en ce moment au-dessus du bureau une phrase datant de la guerre de 14-18 : « c’est ici que le français a dit « on ne passe pas’ ».

Toutes les routes sont semées de réfugiés, spectacle lamentable de gens fuyant l’invasion, quittant leurs foyers, toutes leurs ressources. Des vieux, au visage douloureux, sont assis, pensifs, sur des charrettes, des jeunes filles et jeunes femmes qui gardent encore un brin de coquetterie suivent à pied ou à vélo. Des autos, pleines d’enfants et de paquets passent rapidement… rien n’est si triste.

Ne dit-on pas que les allemands sont déjà aux portes de Soissons ! Quelques jours plus tard, nous devrons bien reconnaître que cette effarante nouvelle était en grande partie exacte.

Chargé d’établir la liaison avec le 1er bataillon, une conduite intérieure grise militaire débouchant d’une cour m’a renversé. Légère blessure au genou. Le médecin chef m’accorda quelques jours d’exemption de service.

Capitulation de la Belgique

Juin 1940

Le départ est annoncé, brusquement, pour ce soir 20 heures (2 juin).

Les motocyclettes suivront le convoi jusqu’à Anthenay, le nouveau P.C.

Quel spectacle ! Maisons éventrées, routes défoncées. Le vrombissement sinistre des avions éprouve les civils et les militaires cantonnés dans ces parages. Engins de mort portant en eux la destruction, la ruine et les pleurs. Engins diaboliques. La science mise au service du mal !

Devant rester quelques jours, en creusant une tranchée, on a découvert les ossements et le casque percé, de part en part, d’un soldat allemand de l’autre guerre. Pauvres restes !

6 juin

« Debout ! Ordre formel, départ à 3 heures.

À l’heure dite tout est prêt. Les agents de liaison partiront en premier en reconnaissance. J’ai pour mission de diriger le convoi vers les points d’embarquement. Terrible cette course dans la nuit noire où on devine à peine la route. Nous atteignons pourtant bientôt le carrefour qui nous a été désigné.

Les camions arrivent, il faut les aiguiller dans la bonne direction et ce sont des va-et-vient incessants dans la nuit, jusqu’à l’aube. L’embarquement terminé nous partons en éclaireurs. Les villages que nous traversons ne sont plus habités.

Puis nous arrivons à Soissons, dont les rues désertes sont jonchées de débris des maisons touchées par les bombardements. Enfin nous rejoignons Clamecy où est installé notre P.C. par une route caillouteuse, où nous croisons des tanks endommagés et des chenillettes revenant du combat.

C’est dans un souterrain taillé dans le roc, abri sûr à toute épreuve, que nous nous installons.

Diverses missions me sont données : ordres à faire parvenir d’urgence, reconnaissances à faire.

La contre-attaque ne pouvant avoir lieu, je dois porter cet ordre au P.C. du capitaine du 159e R.I., établi à Nanteuil-Laffaux.

En route je croise des soldats et des véhicules militaires. Ne connaissant pas la région, je me ravisais et j’allais les questionner. Quelle ne fut pas ma stupéfaction de voir le capitaine du 159e R.I. dans une voiture. L’ordre de repli avait déjà été porté par un autre motocycliste d’une autre division. Ainsi, si je continue, je tombais dans les lignes allemandes. Quelle organisation !

Ma mission étant alors terminée, je réussis, non sans problème, à rejoindre Clamecy presque désert.

… Nous laissons ce véritable « bunker » indestructible avec tristesse et amertume.

Une autre constatation : dans le ciel aucun avion français ou anglais, seulement des avions allemands. Nous nous acheminons vers un véritable désastre.

Au retour, nous franchissons le pont de l’Aisne qui doit sauter dans quelques minutes et permettre de devenir un passage infranchissable.

Sur la route un encombrement épouvantable et démoralisant… triste spectacle que celui d’une retraite.

Avec difficulté nous arrivons à Chaudun. Le P.C. est installé dans le groupe scolaire. Les avions allemands survolent le village et ses environs semant des bombes et mitraillant. Les chasseurs français interviennent et les dispersent.

Quel dommage que notre aviation soit aussi inégale et incapable de riposter énergiquement.

Plusieurs sorties en moto dans des directions différentes : Salmont, Ourck, Noyant-Aconin. C’est pendant un moment de répit que je note ces impressions.

Les Allemands continuent leur avance sur plusieurs points. L’Aisne est franchie !

Nos soldats courageux et méritants ne peuvent lutter, le combat est trop inégal : manque d’organisation, d’engins motorisés, d’avions… et même de munitions.

Une dernière sortie, puis nous rejoignons notre nouveau P.C. à Noyant-Aconin.

Dans la nuit des détonations incessantes, provenant des obus 77 allemands et non de nos 75. Nos oreilles encore inexpérimentées n’avaient su distinguer les « départs » et les « arrivées ».

Repli vers Villemontoire. Des vagues successives de bombardiers nous arrosent de bombes et de mitraille. Les petits bois et les routes sont particulièrement visés et faciles à atteindre. Aucun avion français.

Un coucou, comme nous l’appelons à cause de sa silhouette désuète, tourne au-dessus de nos têtes et indique notre emplacement. Le chapelet de bombe explose, la terre tremble et les éclats passent près de nous, soulevant des tas de terre, dans un bruit assourdissant.

J’apprends que deux camarades sont blessés, le commandant et son chauffeur, couchés près de moi, sont indemnes. La traction avant est inutilisable.

Avec un side-car encore en état, j’effectue plusieurs va-et-vient et emmène les blessés à notre nouveau P.C. situé dans une grotte taillée dans le roc, où une salle est aménagée en infirmerie. Des blessés arrivent peu ou gravement atteints et sont aussitôt soignés.

L’entrée de la grotte a été repérée, aussi nous ne pourrons pas y rester. Après avoir pris, sinon du repos, du moins un peu de nourriture, nous repartons pour Tigny, joli village où nous pouvons faire le plein d’essence et d’huile à nos motos et nous réconforter avec des bananes, du chocolat, du pain et du vin.

Un avion passe très bas. A-t-il constaté que le village était occupé par des français ?

Nous ne tarderons pas à le savoir : installés dans un petit bois pour passer la nuit nous sommes témoins alors d’une attaque des bombardiers sur ce pauvre village.

Le 9 juin, nous quittons à la pointe du jour ce triste lieu pour Lacroix, notre nouveau P.C.

En route, des villages aux maisons défoncées, des villages incendiés, des véhicules carbonisés mais heureusement peu de soldats blessés.

Je dois immédiatement aller faire la reconnaissance de l’installation des 3 bataillons. Le 1er bataillon ayant dépassé le secteur, je pars à sa recherche. Sur la route, un désordre indescriptible, régiments d’infanterie, d’artillerie, de génie sont mélangés sur plusieurs kms.

Je réussis après de patientes et laborieuses recherches, sans me soucier des avions qui planent à nouveau, à retrouver le fameux bataillon. Je rentre enfin, rompu de fatigue et affamé… aucune nourriture, le ravitaillement ne venant pas. Les officiers me donnent une part de leur déjeuner et, ainsi soulagé, je peux reprendre mes courses.

Lors d’une mission, j’entends siffler des balles près de mes oreilles. J’étais bien visé et par un F.M.. Était-ce une méprise, je tirais à fond le levier des gaz… la moto bondit et j’atteignis en quelques secondes la lisière du bois, sans nouvelles rafales.

Je racontais cette histoire au capitaine, qui n’a pas été des plus surpris… notre nouveau P.C. était à quelques kms de là.

En route, de nouveaux tirs de F.M. et des coups de feu, venant des lignes allemandes situées assez près de la route utilisée. Nous réussîmes à passer et apprîmes qu’une de nos sections venait de tomber à l’ennemi.

Il est nuit maintenant et je ne pense pas avoir à me déplacer avant demain.

Une bonne nuit en perspective sur la paille.

Lundi 10 juin 1940

Un sommeil réparateur m’a remis frais et dispos, mais pourquoi ce réveil si matinal (5 heures) et cette hâte… l’explication nous est vite donnée : le P.C. est menacée d’encerclement. Déjà nous avons dû être repérés.

Seule solution, se porter sur l’autre rive de la Marne, car toute résistance est impossible. Pour rester en liaison avec les autres bataillons et suivre leur marche de repli, des arrêts en plusieurs points. J’étais loin de penser que nous étions en train de nous jeter dans les lignes ennemies. Je n’allais pas tarder à le savoir.

À un carrefour, derrière une haie, des soldats allemands munis de mitraillettes interdisent le passage. Après une hésitation la voiture du colonel et nous motocyclistes fonçons et arrivons à passer malgré les rafales d’armes automatiques.

Plus loin, je m’arrête pour récupérer un camarade complètement perdu et hébété ; guidé par la poussière soulevée par la voiture du Colonel, je me lance sur ses traces…

Une mitraillette tire sur nous… des allemands surgissent et coupent la route. Impossible de passer… nous sautons de la moto et d’un bond atteignons le bois.

C’est une course éperdue qui commence… j’arrive à avertir notre régiment du danger, mais il est déjà trop tard.

Notre tactique est simple, traverser la Marne à tout prix.

Pour se repérer, un petit coteau où nous apercevons la rivière espérée. Pour être plus léger, je jette mes deux musettes et ma gourde.

Chaleur suffocante. Nous marchons prudemment derrière un rideau de broussailles, mais au moment où nous arrivons à un espace découvert des balles pleuvent autour de nous. Nous nous couchons et rampons, puis repartons… nouveau tir bien nourri. C’est miracle que nous ne soyons pas blessés.

Le tir ne recommence pas, aussi nous nous dressons et nous dirigeons vers la Marne. Nous tombons alors sur une patrouille cachée dans un bosquet…

Il n’y a plus qu’à se rendre.

Ainsi nous voilà prisonniers. Quel moment de stupeur !

(à suivre...)