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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 16
Quelques souvenirs d’un élève de trente ans
Article mis en ligne le 26 septembre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par CHARROL Jean-François
DES ANCIENNES ECOLES AU GROUPE SCOLAIRE DE SEDERON

I. DES INSTALLATIONS RUSTIQUES

Lorsque débuta ma scolarité primaire à SEDERON, vers 1930, deux écoles « géminées [1] » existaient dans cette commune : en fait deux classes mixtes. Les plus jeunes élèves étaient accueillis dans un local situé au rez-de-chaussée de la maison GUILLINY.

Les récréations se déroulaient dans la cour commune aux propriétés ESTELLON et GUILLINY et à laquelle on accédait, à partir de la rue, par un passage couvert entre les habitations (qui existe sans doute encore).

La grande école qui recevait les enfants les plus âgés (Cours moyen et cours supérieur) se trouvait presque à l’autre extrémité du village dans une grande salle du bâtiment municipal qui abrite actuellement la bibliothèque communale.

Les récréations se prenaient sur la rue de « La Rosière ». Le chemin de terre battue et ses abords, aux premières pentes du « Crapon », tenaient lieu de cour.

Des W.C. (alors légalement appelés « Cabinets d’aisances » ou « Privés ») étaient aménagés assez sommairement dans une sorte de cabanon qui fut désaffecté après la mise en service du groupe scolaire et transformé plus tard en poulailler. L’équipement « sanitaire » – si on peut dire – de la « petite école » était du même ordre.

Le souvenir d’une sorte de cérémonie rituelle, à la « petite école » est resté dans ma mémoire : celui de l’arrosage quotidien de la classe préalable au balayage. Une sorte de grand cornet de tôle muni d’une anse du côte large et percé d’un orifice à la pointe du cône que l’on bouchait au moment du remplissage (peut-être à la fontaine du lavoir voisin) était mis en service.

On promenait cet espèce de grand entonnoir – rapidement car le récipient se vidait vite – au dessus du parquet en dessinant, avec l’eau qui jaillissait, de larges arabesques sur le sol poussiéreux (nos chaussures véhiculaient abondamment la terre, la boue des routes, cours et chemins, car le goudron ou le bitume n’étaient pas encore utilisés). Ainsi humecté, le plancher se prêtait au balayage dans des conditions à peu près conformes aux prescriptions d’hygiène prévues par les règlements de l’époque, lesquels imposaient un arrosage et un balayage quotidiens [2]. Je ne sais plus si les « grands élèves » participaient de manière très active aux opérations, à la fin de la classe du soir, ou si l’essentiel du travail était effectué par la maîtresse. Peu importe. Ce joyeux branle-bas à connotation hygiénique ne pouvait manquer, par son caractère rituel, d’imprégner nos jeunes consciences.

II. POINTS SUR LES I ET BUCHETTES

Lorsque j’entrai pour la première fois dans la classe des petits, tenue par Mademoiselle BONNET (devenue plus tard Madame JOURDAN), je fus assez impressionné par l’ambiance, le sérieux, l’ordre, voire une certaine solennité qui y régnait. Le souvenir d’un moment pénible, cependant, m’est resté, mêlé à ces sensations étranges : celui de mon premier travail d’écriture, au crayon, sur le cahier à double ligne – muni de son protège-cahier cartonné – qui m’avait été attribué. Je ne parvenais pas à tracer correctement les I en imitation des modèles inscrits à l’encre rouge par la maîtresse au début de chaque ligne. La liaison (« l’attache ») de la lettre et sa courbure régulière me posaient des problèmes insurmontables : mes I étaient mal formés, anguleux et disgracieux. Les points, même, ne se trouvaient jamais dans l’alignement correct. Envahi par l’angoisse, je portais un regard admiratif et envieux sur l’activité rayonnante de mon voisin de droite, Lucien GIANOGLIO, lequel s’ingéniait, en passant et repassant la mine de crayon sur le papier, à bien arrondir de magnifiques points brillants au-dessus de chaque lettre qu’il me paraissait dessiner à la perfection, tout en tirant, par moments, la langue, signe indubitable d’une application extrême. Cette habileté de Lucien ne s’est jamais démentie par la suite, ni dans sa scolarité ni dans l’exercice de son art de la maçonnerie jusqu’à son décès survenu, hélas, prématurément.

Ma maladresse graphique persista aussi. Ma mère, à qui je racontai mes déboires, était navrée et fit part de ses craintes à l’institutrice. Mademoiselle BONNET la rassura en soulignant qu’après tout, l’écriture (au sens de dessin des lettres) n’était pas une véritable science… Et comme je progressais assez rapidement dans les autres disciplines, je ne fus pas très traumatisé par cette insuffisance.

Souvenirs agréables, en revanche, des premières leçons de calcul. Nous devions apporter, pour la séance collective de travail, un certain nombre de « bûchettes » : des unités et des paquets de dix. Nous préparions ce matériel le soir après la classe. Quel plaisir d’aller sur les bords de la MEOUGE, près de la passerelle face au haut du village chercher des tiges d’osier, de les couper à la longueur voulue (approximativement celle d’une grande allumette), de les attacher en petits fagots d’une dizaine d’unités – avec l’aide des parents au tout début. Grâce à cette présentation concrète, les principes de la numération décimale me parurent évidents.

Dans les oseraies des bords de la MEOUGE, fleurissaient au printemps, primevères et violettes. Nous guettions leurs apparitions et allions en cueillir des bouquets pour les offrir à la maîtresse.

Heureux temps où la vie du village entrait tout naturellement à l’école au rythme imperturbable des saisons. Bon sujet de méditation à notre époque où cet équilibre a été rompu mais pourrait être rétabli en imaginant des rapports nouveaux entre l’école et son environnement proche ou lointain, local ou médiatique. On ne peut, en effet, se satisfaire de la nostalgie…

Mais ceci est une autre histoire.

III. HISTOIRE DE BANCS

Les deux écoles de SEDERON étant géminées, c’est à dire, en fait, mixtes pour des raisons pédagogiques, l’enseignement obligatoire de la couture pour les filles et du travail manuel pour les garçons, posait problème. Car il était hors de question, à cette époque des années trente, voire illégal, de confier l’initiation aux travaux d’aiguilles à un homme, fut-il instituteur. Les maîtres avaient donc été conduits à adopter la solution généralement mise en œuvre en pareil cas et qui consistait à réunir une demi-journée hebdomadaire, les enfants de chaque sexe : les garçons avec l’instituteur, les filles autour de l’institutrice.

Tous les mardis après-midi donc, nous, les garçons de la classe de Mademoiselle BONNET, quittions cette dernière pour nous rendre en rangs par deux, sous la surveillance d’un « grand » désigné par la maîtresse, vers la classe dirigée par l’instituteur. En route, dans la grande rue du village, nous croisions les filles de la « grande école » qui opéraient un déplacement en sens inverse. C’est dans ce cadre que se situe une mésaventure qui a longtemps laissé un goût amer dans mon esprit d’enfant. La responsabilité des faits incombe sans doute au mobilier scolaire de l’époque conçu de manière à permettre de « caser » le maximum d’élèves dans un minimum de surface. Il se composait de longs et lourds bureaux-pupitres occupant toute la largeur de la salle, complétés par des bancs assez étroits et instables, séparés des bureaux, donc très mobiles. Ce qui fit mon malheur.

Me voici donc installé, un mardi après-midi, dans la classe des « grands » dirigée, à ce moment-là, par Monsieur PERRIN, (au premier étage de l’immeuble municipal ?), vers le bas du village. Un moment, je regardai mon ami, Paul REYNAUD, de la classe des « grands » qui, à l’extrémité du même banc, me sourit d’un air protecteur mais néanmoins malicieux. Sacré Paul ! Comment aurais-je pu me méfier de ce gentil compagnon de jeux, mon ami de tous les jours ! Cependant, à peine étais-je assis, qu’il imprima une violente secousse à notre siège commun. Aussitôt, je pouffai en un rire bruyant qui alerta le maître. Monsieur PERRIN m’appela auprès de lui, me planta contre le tableau noir sur lequel il dessina au dessus de ma tête ce qui était censé représenter de longues oreilles, version édulcorée du traditionnel bonnet d’âne.

Cette sanction, injuste à mes yeux, provoqua en moi une vive émotion qui fit germer, puis mûrir, dans mon esprit d’enfant, une réponse que je trouve, encore aujourd’hui, assez appropriée. A partir de ce jour-là, chaque mardi après-midi, je me rendais, comme d’habitude, à la « petite école » où je jouais avec mes camarades, pendant la brève récréation qui précédait l’entrée en classe. Mais lorsque retentissait le coup de sifflet de Mademoiselle BONNET, au lieu de rejoindre les autres élèves sur les rangs, je m’esquivais promptement par un passage qui conduisait à l’étable où Monsieur GUILLINY logeait ses vaches et qui menait à la place près de l’actuel bureau de poste. De là, je filais vers ma maison et j’annonçais à ma mère que j’avais « mal au ventre » et ne voulais pas aller en classe. Une fois en sécurité derrière le rideau de notre porte d’entrée, je regardais passer les rangs des garçons se rendant à la « grande école » et les filles venant vers la « petite classe ». J’éprouvais un vrai soulagement à me dispenser ainsi de la séance de travaux manuels dirigés par un maître redoutable, mais aussi un sentiment de remords à la pensée de « manquer l’école ». Je me déculpabilisais en me plongeant dans mon livre de lecture – la célèbre « méthode BOESCHER », je relisais la leçon du jour et découvrais ensuite celle du lendemain. Il ne s’agissait donc pas d’école buissonnière ; j’avais inventé une manière positive de me venger d’une injustice. Je doute fort que ce manège ait pu échapper à Mademoiselle BONNET. De toute façon, il se prolongea, me semble-t-il, jusqu’au départ de Monsieur PERRIN.

« Et quiconque sait lire est un homme sauvé. »
ALAIN – Propos sur l’éducation

IV. PLAISIR DE LIRE

Les souvenirs qui, pour moi, font le lien entre les anciennes et les nouvelles écoles se rattachent à la bibliothèque scolaire. Lorsque j’entrais à la « grande école » où enseignait Monsieur DELHOMME René (actuel Président d’honneur de l’Essaillon), je ne manquais pas de remarquer « l’armoire bibliothèque », ce meuble au vieux bois foncé et luisant qui faisait partie du « mobilier et matériel scolaire obligatoire », avec le tableau noir et ses accessoires, le tableau du système métrique, la carte murale de France et, pour les filles, l’étoffe nécessaire à l’enseignement de la couture (Décret du 29.01.1890 – Cette liste ne sera enrichie et modernisée officiellement… qu’en 1949 !)

Ces prescriptions étaient respectées à SEDERON – ma mémoire en témoigne. Notre maître utilisait avec goût la fameuse « armoire bibliothèque » dont le statut, dans la classe, revêtait une certaine aura de solennité.

Mais, c’est surtout au groupe scolaire nouvellement construit dans les années trente que sont liés mes souvenirs en matière de plaisir de la lecture. Je revois, dans la salle de classe, une belle armoire neuve, le bois blanc verni en jaune en harmonie avec l’ensemble du mobilier. Monsieur DELHOMME avait disposé, derrière les vitres, des feuilles de papier de couleur occultant la lumière, de manière à protéger les ouvrages bien rangés sur les étagères. On y trouvait les romans pour enfants, récits d’aventures, contes divers, etc... Tous recouverts à l’aide du même papier de protection, bleu ou rouge-grenat et soigneusement étiquetés par le maître. Tout cela témoignait du respect que l’on portait aux livres… Je ne sais plus si une cotisation était demandée ; de toute façon, elle ne pouvait être que minime.

Chaque samedi donc, après la récréation, vers la fin de l’après-midi venait le moment rituel de la « bibliothèque ». Les prêts étaient consentis pour une durée d’une semaine. Nous pouvions emporter les volumes à la maison. Monsieur DELHOMME ouvrait alors le cahier sur lequel étaient notées les opérations relatives à la séance précédente, afin de procéder d’abord au retour des ouvrages. Il annonçait les noms et les titres à rendre. Certains d’entre nous, n’ayant pas terminé leur lecture demandaient la prolongation du prêt. Quelques uns se voyaient reprocher leur négligence ou leur impéritie dans ce domaine. Venait ensuite le moment très attendu du choix des livres à emprunter. Très attendu car, même des camarades qui ne lisaient pas ou lisaient peu – par manque d’intérêt ou autres obstacles – espéraient toujours, stimulés par l’empressement des autres, et dans l’euphorie communicative du moment, qu’ils allaient enfin découvrir le titre miracle susceptible de déclencher en eux l’étincelle du plaisir de lire.

Le maître énonçait la liste des ouvrages disponibles : les doigts se levaient pour en réclamer l’attribution. En cas de concurrence, le premier qui s’était manifesté avait la priorité. De toute façon, l’arbitrage du maître était souverain.

Les œuvres les plus prisées étaient celles de JULES VERNE : L’Ile Mystérieuse, Vingt mille lieues sous les Mers, entre autres ; de GEORGE SAND avec François le Champi, La Petite Fadette ; d’HECTOR MALOT avec son célèbre Sans Famille, sans oublier diverses versions des Contes de PERRAULT et bien d’autres.

Mes camarades et moi, lisions avec beaucoup d’intérêt dès le samedi soir ; il y avait même entre nous, une stimulation mutuelle : nous discutions du contenu de nos livres... De même que nous étions quelques uns (sans doute Paul RAYNAUD, Paul JULLIEN et d’autres) à être pressés de nous retrouver chaque jour, après le repas du midi, pour évoquer ensemble, les prouesses de MICKEY, lues rapidement sur la bande dessinée (ou les nouvelles) dans le journal qu’achetaient alors de nombreuses familles, au distributeur M. Arthur MOULLET.

Mais, il y avait plus, Monsieur DELHOMME, pour nous donner une idée des ouvrages et stimuler notre appétit de lecture, consacrait un moment à nous lire à haute voix, de façon suivie, de semaine en semaine, quelques pages des nouvelles acquisitions. C’est ainsi que nous avons fait connaissance avec le très poétique « Merveilleux voyage de Nils HOLGERSON à travers la SUEDE » avec les inénarrables aventures des « Quatre du Cours Moyen ».

Quel moment enchanté que celui de la « Lecture du samedi » par le maître !

Déjà, dans la « petite classe », Mademoiselle BONNET (Madame JOURDAN), nous en avait donné le goût par les contes…

Cette pratique de « l’heure du conte » est restée en vigueur dans de nombreuses classes de nos jours, avec l’institution des « bibliothèques centres documentaire » (B.C.D.) dans les écoles. En effet, il semble bien que la question du rapport de l’enfant au livre (et, de façon plus vaste, du rapport de la famille à la lecture) devienne de plus en plus centrale dans l’ensemble complexe des facteurs qui déterminent la réussite scolaire...


J. F. CHARROL
Inspecteur Départemental Honoraire
de l’Education Nationale