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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Restauration de 1943 :
les vitraux de l’atelier Thomas
Article mis en ligne le 26 juin 2017

par POGGIO André

Lorsqu’on entre dans l’église, la nef paraît sombre bien qu’elle soit pourvue de quatre ouvertures, deux sur chaque mur. Mais elles diffusent peu de lumière à cause de leur position haute et des couleurs des vitraux, à dominantes froides. Un même motif floral les décore.

© Essaillon
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vitrail à motif floral (nef)
vitrail sud (chapelle du Rosaire)

Par contraste, les chapelles latérales sont très éclairées. Dans la chapelle du Rosaire, le vitrail à damiers blanc et bleu, souligné d’une bordure rouge et surmonté de deux croix bleu roi inclinées, est moderne. Installé lors de la restauration de 2007, il est l’œuvre de l’entreprise Noyer de Monêtier – Allemont. Ouvrant vers le Sud, il apporte beaucoup de clarté.
Quatre autres vitraux illuminent l’église : un au fond de chaque chapelle et un sur chaque côté du chœur. Trois d’entre eux sont signés. Ils proviennent de « L’Atelier Thomas » :

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signature « THOMAS M. VERRIER VALENCE »
© Essaillon
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vitrail à motif floral (nef)
vitrail sud (chapelle du Rosaire)

La découverte d’un en-tête de facture et d’un encart publicitaire m’avait donné quelques indices sur l’entreprise, spécialisée dans la création et la restauration des vitraux. Entreprise familiale fondée en 1876, elle était dirigée à l’époque par Georges Thomas.
L’encart publicitaire parut en 1937 dans « l’Ami du Clergé ». Cette revue tirait à plus de 10.000 exemplaires et était très lue par les ecclésiastiques (pour preuve, la bibliothèque de l’abbé du Pontavice contient le recueil relié de la revue pour l’année 1906). On peut supposer que la publicité de Thomas y était toujours insérée en 1942 et que c’est en la feuilletant que l’abbé du Pontavice a découvert l’existence d’un verrier dans la Drôme.

© Essaillon
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En-tête facture
Encart publicitaire
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Georges Thomas (†1974)

(photo archives Thomas)

Les archives de L’Atelier Thomas ont conservé trois maquettes de ses créations à Séderon :

© Essaillon
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(photo archives Thomas)

(il est curieux de noter que le seul vitrail non signé est également celui dont la maquette n’a pas été conservé)

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<— Baptême du Christ

(chapelle St Joseph)

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Annonciation —>

(chapelle du Rosaire)

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<— Assomption de la Vierge

(vitrail Est du chœur)

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Michel terrassant le dragon —>

(vitrail Ouest du chœur)

Dans la chapelle St Joseph, le vitrail représente le Baptême de Jésus par Jean Baptiste. En vis-à-vis, dans la chapelle du Rosaire, se trouve l’Annonciation faite à Marie par l’Archange Gabriel. Les deux vitraux présentent chacun, dans une symétrie remarquable, un personnage à genoux et les mains jointes, dominé par le bras d’un personnage debout.
Les deux scènes sont surmontées par la représentation du Saint Esprit, sous l’aspect traditionnel d’une colombe auréolée qui projette des rayons éclatants.

Les vitraux du chœur exposent eux aussi des thèmes classiques et sont légendés :
« MICHAEL-DEFNDE-NOS-IN-P… » [(Archange) Michel défendez-nous dans le danger]
« MARIA-PATRONA-GALLIAE OPN » [Marie patronne de la France, priez pour nous]

Si l’on se replace dans le contexte de la Guerre et de la France occupée (la zone sud vient de l’être en novembre 1942), il me semble que l’on peut trouver des concordances d’idées entre les quatre œuvres :

La Vierge Marie, patronne de la France, c’est une longue et vieille histoire commencée avec le Testament du roi Louis XIII le 10 février 1638. « Prenant la très sainte et très glorieuse Vierge pour protectrice spéciale de notre royaume, nous lui consacrons particulièrement notre personne, notre État, notre couronne et nos sujets, la suppliant de nous inspirer une sainte conduite et de défendre ce royaume contre l’effort de tous ses ennemis ».
En 1922, le Pape Pie XI avait continué à tisser le même lien et déclarait que « la Vierge Marie Mère de Dieu, sous le titre de son Assomption dans le ciel, a été choisie comme principale patronne de toute la France ». La déclaration solennelle continuait avec « et seconde patronne céleste sainte Jeanne, pucelle d’Orléans… En ce qui concerne la Pucelle d’Orléans, personne ne peut mettre en doute que ce soit sous les auspices de la Vierge qu’elle ait reçu et rempli la mission de sauver la France ».
Défendre, sauver la France, personne dans la France très catholique d’alors ne peut avoir oublié les paroles du Pape prononcées seulement 20 ans avant les événements.

La référence au combat de l’Archange Michel contre le dragon est elle aussi chargée de sens. Dans l’Apocalypse (XII, 7-9) Saint Jean écrit en effet :
« Et il y eut une guerre dans le ciel ; Michel et ses anges combattirent contre le dragon.
Et le dragon et ses anges combattirent, mais ils ne furent pas les plus forts, et leur place ne fut pas trouvée dans le ciel.
Et il fut précipité, le grand dragon, le serpent ancien, appelé le Diable et Satan, Celui qui séduit toute la terre, il fut précipité sur la terre, et ses anges furent précipités avec lui.
 »
Toute l’histoire chrétienne est nourrie de ce combat, et la victoire sur le mal est promise à celui qui sait revêtir l’armure de la foi (et ici le dragon a une certaine couleur vert-de-gris).

Défendre la France grâce à la protection de la Vierge Marie, la sauver et obtenir la victoire par la lutte armée à l’exemple de saint Michel et de sainte Jeanne d’Arc, comment douter que le curé adresse à ses paroissiens le message de sa foi dans la délivrance du pays et dans la victoire finale sur les forces étrangères. Victoire à obtenir par la manière forte si nécessaire, la double représentation du Saint-Esprit, intercesseur de la puissance divine, est là pour nous en convaincre.

Le curé de Séderon aurait donc fait œuvre militante : au cœur de la tourmente, son église affiche désormais le message de l’espoir dans l’issue de la guerre. Il est intéressant de noter que sa bibliothèque contenait un livre de Monseigneur Saliège, évêque de Toulouse, dont les sermons et les écrits prônant une résistance toute intellectuelle durant l’Occupation eurent une grande influence.

L’abbé du Pontavice a laissé le souvenir d’un prêtre disposant personnellement de moyens financiers importants, et il avait certainement les moyens d’assurer seul le paiement des travaux qu’il souhaitait réaliser. Il jugea cependant nécessaire d’associer étroitement ses paroissiens au projet en faisant appel à leur générosité.

C’est pourquoi, sur le vitrail de l’Assomption de Marie, on peut lire une inscription sur la pièce de verre à l’angle inférieur droit :

© Essaillon
DON Mme MARIE…

Les enduits de la restauration de 2006-2007 ont un peu empiété sur le verre. Mais le nom de la donatrice est connu :
Marie Rolland, née Bonnefoy, était la sœur de David Bonnefoy, le propriétaire du Modern-Hôtel. Elle décéda en 1948, peu d’années après avoir offert la somme nécessaire pour payer le vitrail dédié à sa sainte patronne.
Marie Rolland repose dans le caveau familial du cimetière de Séderon.

Le 7 mai 1943, l’abbé du Pontavice écrivait à l’Évêché de Valence. Après avoir donné des nouvelles du chantier de son église, il sollicitait le Chanoine Chancelier « presque enfant du pays » afin qu’il vienne bénir les nouveaux vitraux le 18 juillet.

© Essaillon
signature de l’abbé du Pontavice sur sa lettre du 7 mai 1943

Ce chanoine s’appelait Ephrem Pascal. Natif de Barret de Lioure, parent des Pascal du Jas et de la Tuilière, les grandes lignes de sa vie sont retracées dans ce même Trepoun.
La rénovation de l’église aurait pu s’arrêter là : une grand-messe inaugurale concélébrée par le chanoine et le curé avec, en point d’orgue, un sermon expliquant aux paroissiens le sens profond d’une restauration n’ayant pas qu’un but artistique.

Sous cette forme, le projet était déjà ambitieux, onéreux, et pouvait atteindre totalement son but politique.

Qui eut l’idée de le compléter par la peinture « a fresco » d’un extraordinaire chemin de Croix, unique à notre connaissance ?

La seconde grande réalisation du chantier de 1943 fait l’objet des pages suivantes.

Reste une incertitude concernant le créateur des vitraux. Certes il n’y a aucun doute quant à la réalisation : les verres et les plombs sortent de l’atelier Thomas. Mais pendant toute la durée des travaux, l’atelier envoya à Séderon un peintre. Il s’appelait André Seurre.
Seurre s’installa au village (à la cure m’a-t-on dit), et c’est lui qui procéda à la mise en place des vitraux. De là à penser qu’il en inventa le dessin... en suivant les prescriptions de M. le Curé !