L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 52
Tradition des fêtes provençales
Article mis en ligne le 13 août 2015

par VILLENEUVE-BARGEMONT Comte (de)

Entre 1821 et 1829 fut éditée à Marseille une « STATISTIQUE du DEPARTEMENT des BOUCHES du RHÔNE », énorme ouvrage comportant 4 tomes et totalisant plus de 4000 pages, oeuvre du Comte Christophe de Villeneuve-Bargemont.
Le Comte de Villeneuve était provençal de naissance. Préfet sous le Premier Empire, il devint ensuite Préfet des Bouches du Rhône en 1815, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort en 1829. Sa fonction lui permettait de disposer de tous les moyens pour connaître le territoire du département. Il en dressa un état des lieux, l’étudiant, l’analysant sous tous les angles scientifiques, de la géographie à l’histoire en passant par l’économie.
Villeneuve consacra une partie de son tome III, paru en 1826, aux « mœurs, usages et coutumes ». Pour notre grand bonheur il s’agit là d’une étude systématique de l’ethnographie régionale, avec une description très précise des fêtes en Provence en ce début du XIXe siècle.
Quelques morceaux choisis de son livre nous permettront de comparer avec le récit de Bonnefoy de Baïs, de distinguer ce que le « vot de Sederoun » avait de particulier, tout en nous apportant le sens exact de quelques mots dont l’usage a aujourd’hui disparu :

Trains ou Roumevages

Le premier de ces mots (train) n’est guère usité qu’aux environs de Marseille. Il exprime le rassemblement bruyant et tumultueux produit par l’affluence des étrangers, qui se dérobent à l’influence gênante de la ville pour jouir en toute liberté des plaisirs de la campagne à l’occasion de la fête patronale…
Roumevage a une acceptation plus générale. Il s’applique à toutes les fêtes patronales auxquelles on accourt par un sentiment de dévotion comparable, dans son origine, à celui qui faisait entreprendre aux fidèles le voyage de Rome [Roumevage est formé de deux mots, Roumo viaggi. Roumiou, un pèlerin qui allait à Rome. A Arles on donne aux roumevages le nom de vô ou vot (vœu)]

Les termes de roumevage, roumavagi, romerage, se transformaient, dans la région de Marseille en trin et, dans la Haute Provence, en vogo ou vot.
Petit encart tiré de : ALMANACH - de la mémoire et des coutumes – PROVENCE par Claire Tiévant [Albin Michel – 2004] - ouvrage plagiant largement celui de Villeneuve mais l’on y trouve tout de même quelques précisions supplémentaires.

Avant la Révolution, le roumavage était, dans tous les bourgs et villages de la Provence, l’une des occupations les plus importantes du conseil municipal. La fête patronale, qui en était le motif, durait au moins trois jours. Elle attirait un grand nombre d’étrangers : une foire plus ou moins importante mettait en mouvement toute la population de la contrée, et les propriétaires attendaient cette époque pour mettre en circulation l’argent qu’ils avaient retiré de leurs récoltes. Il était de l’intérêt du pays de donner à la fête tout l’éclat dont elle était susceptible, de favoriser les marchands et les étrangers, afin de jouir des avantages que procure toujours une grande consommation, et d’exercer une police vigilante et protectrice…
Une partie essentielle des roumevages est ce que l’on appelle les joies. On donne ce nom à une perche portant un cercle de bois, autour duquel sont suspendus les prix destinés aux vainqueurs. La perche est surmontée d’un pommeau, au-dessus duquel on attache un coq vivant, le plus beau qu’on a pu se procurer. Les prix consistent en divers joyaux : plats d’étain, écharpes de soie, rubans, dentelles, etc.
Les jeux auxquels les prix sont attribués varient selon les localités et les circonstances.

Course des hommes

La course à pied est l’exercice le plus généralement en usage. Elle se fait ordinairement le lendemain de la fête, le premier jour étant consacré à la danse. Les coureurs, vêtus d’un seul caleçon de soie de couleur [ce caleçon s’appelle les brayettos, c’est-à-dire petites culottes. Ce n’est qu’après avoir remporté au moins trois prix en différents lieux qu’un jeune coureur peut porter les brayettos. Lorsqu’il est vaincu il les remet au vainqueur…] et portant des sandales aux pieds, arrivent avec leurs nombreux amis qui semblent leur dire : Soutenez l’honneur de votre pays. Ils sont placés sur une même ligne : le fusil détonne, la corde tombe, les coureurs s’élancent, cherchent à se couper le chemin : la carrière est longue, leur agilité l’abrège : le peuple qui borde la haie les encourage. Celui qui touche le prix le premier est couronné. Ses amis l’entourent, le félicitent et ses rivaux se consolent en racontant quel malheureux accident les a retardés dans leur course.
Dans certaines communes on fait courir les enfants, les jeunes filles et même les vieillards. Cet exercice ne semble pas fait pour ces derniers. Le spectacle en est pénible pour les assistants. Les hommes parvenus à la fin de leur carrière doivent être les juges du camp dans lequel ils ont combattus autrefois. Ils en connaissent les lois et les usages ; l’expérience a mûri leur sagesse. Toute leur puissance est là ; la force physique est d’un autre âge. Cependant on aime à voir encore, comme un beau soleil d’hiver, ces hommes qui, âgés sans avoir vieilli, doivent à une longue sobriété, à une sagesse presque séculaire, d’avoir conservé le feu de la jeunesse sous les rides dont les ans ont sillonné leurs fronts. La course des vieillards a donc un but moral, car les jeunes gens peuvent se dire : Si nous voulons atteindre une si belle vieillesse, vivons comme ils ont vécu.

Course des animaux

Les courses de chevaux sont toujours les premières… la course se fait ordinairement sur la grande route, quelquefois dans les prairies ou dans le lit desséché des torrents…
Le coup de fusil donne le départ, tous les chevaux partent à la fois. Un tourbillon de poussière les précède et les dérobe à la vue des spectateurs. Avant qu’ils aient pu discerner celui auquel ils portent le plus d’intérêt, le nom du vainqueur a déjà retenti dans les airs. Au retour chacun reconnaît l’heureux du jour, bien plus à la démarche fière du cheval qu’à l’écharpe du cavalier.
Dans nos pays montueux, le mulet remplace avantageusement le cheval pour les travaux pénibles de la campagne et du roulage. Aussi les mulets se présentent en plus grand nombre que les chevaux, et la course qui est ordinairement plus longue offre plus de chances aux concurrents et procure plus de plaisir aux spectateurs.
Après les chevaux et les mulets, les ânes descendent dans l’arène. Les enfants qui les guident ne daignent pas même monter dessus. Ils les suivent en courant et en leur prodiguant les coups et les injures. Dans leur course vagabonde, l’un tombe dans le fossé, l’autre fuit dans les vignes, enfin l’un des baudets arrive et pour récompense on l’affuble d’une muselière.
Ainsi finissent les courses d’animaux. On a parié pour les chevaux, on s’est disputé pour les mulets, tout le monde s’est diverti à la course des ânes.

Le saut

Cet exercice se fait d’une manière particulière en Provence. On trace sur la terre une ligne pour marquer le point du départ. Celui qui met le saut se place en dehors de la ligne de manière à la toucher de la pointe des pieds. Il part des deux pieds, mais il fait deux sauts sur un seul pied et s’élance au troisième pour retomber comme il est parti. Il faut qu’en tombant il reste en place, et on marque le saut en tirant une ligne derrière ses talons. Ceux qui suivent font de la même manière, jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus dépasser ce saut. Alors on prend course d’un peu loin, et l’élan que se donne par là le sauteur lui permet de franchir un plus long espace. Dans cette dernière manière de sauter, qui est décisive, le sauteur ne part que d’un seul pied, mais il tombe également des deux au troisième saut. Pour peu qu’il dépasse la ligne de départ, le coup est nul. Or comme très souvent on n’obtient la victoire que de quelques lignes, il ne faut pas seulement être leste, mais encore avoir le coup d’oeil très juste pour ne pas partir trop en arrière de la ligne.
Cet exercice, qu’on nomme les Trois-Sauts, est très intéressant, et le pays produit des hommes très habiles en ce genre. On a vu des sauteurs franchir ainsi un espace de cinquante pieds et même davantage. Le dernier saut est surtout prodigieux par l’élasticité qu’acquiert le sauteur en frappant la terre d’un seul pied et en s’élançant de toute sa force pour tomber sur ses deux talons ; le dernier saut est assez souvent aussi fort lui seul que les deux premiers ensemble.

Le bal

Les danses se font dans une vaste enceinte préparée sur la place publique, garantie du soleil par des pavillons, et désignée sous le nom de salle verte, à cause des branches d’arbre et du feuillage qui l’entoure. On ne saurait dire jusqu’à quel point la passion de la danse est portée dans tous les villages de la Provence. Tous les jours, depuis l’instant où les Vêpres sont finies jusqu’à minuit, la salle verte ne désemplit pas…Les danses sont interrompues vers le coucher du soleil par les divertissements auxquels des prix sont destinés. Toute la population suit le cortège et assiste aux divers jeux ou exercices. De retour on soupe, et après le souper on revient à la salle verte. Ce qui fait le charme de ces fêtes, c’est la gaieté que l’on voit briller sur tous les visages, c’est la liberté dont on y jouit, c’est surtout la franche cordialité avec laquelle les étrangers sont accueillis.

Les boules

Des boules en buis de la même grosseur et rendues pesantes avec du plomb coulé dans des cavités pratiquées à cet effet, sont distribuées à tous ceux qui veulent concourir. On les rassemble sur la grande route et on fixe le terme de la carrière à une assez grande distance, par exemple, à un kilomètre au moins. On choisit ordinairement la partie de la route qui est sinueuse. Chacun pousse sa boule le plus loin possible, et dans les jets suivants, chacun part du point où sa boule est restée, en commençant par celui qui est le plus en arrière. Celui qui arrive en moins de coups au but remporte le prix. Ce jeu s’appelle lou Butabant (but-en-avant).

Comte de VILLENEUVE-BARGEMONT

textes choisis tirés de : Statistique du Département des Bouches du Rhône
[1826 - Marseille, chez Antoine Ricard, rue de la Cannebière, n°19]
[1972 - réédition chez Alain Chantemerle – Nyons]

On ne trouve aucune référence à l’arbre de Mai dans le livre du Comte de Villeneuve. Tout au plus évoque-t-il la présence de mâts de cocagne, mais de manière très succincte.
Or la tradition existait : elle date de 1720 et reste toujours vivante puisque célébrée chaque année le 1er samedi après le 21 mai, à Cucuron. C’est la seule fête où le « mai » soit le début du déroulement des festivités, comme Bonnefoy Debaïs nous le décrit pour Séderon où il en fait l’élément initial de la fête et le catalyseur de l’énergie des villageois.

L’arbre de Mai à Cucuron – cette fête est un archaïsme ethnographique car c’est la dernière survivance d’une fête païenne de printemps, « le Mai », qui fut très répandue dans toute l’Europe… Avec des variantes multiples, cette fête de la fécondité, saluant le renouveau de la nature, était connue de la Russie à l’Angleterre et des pays nordiques à la Provence. Ces manifestations disparurent assez brutalement à la fin du XIXe siècle.
A Cucuron, le schéma de base est parfaitement respecté. Un peuplier est abattu et transporté par les hommes jusqu’au village. Le Mai est dressé devant l’église, puis béni ; la fête, christianisée, est placée sous le patronage de sainte Tulle en souvenir d’un vœu fait lors de la peste de 1720… La Provence en costume défile, la nature est présente par le décor de feuillages et de genêts, la jeunesse danse…
[relevé dans un petit livret dont j’ai omis de noter les coordonnées]