Lou rigaudoun…
Le rigodon est une vieille danse. Notre félibre Alfred Bonnefoy-Debaïs en parlait, dans son « vot de Sederoun », à propos des fêtes de sa jeunesse dans les années 1860-70 :
« … lou bal vai à grand trin, li parèu viron sènso rouca lou sou… Li paire, li maire emi li reire, vesènt ansin dansa sis enfant, l’envejo lis aganto, e zou ! se bouton dóu bal e, ma fisto au rigaudoun ié van quasimen miés que si felen. E tout aquéu pople viro, danso, sauto, entre-mescla dins un boulegadis espetaclous… ».
[… le bal bat son plein, les couples tournent sans toucher le sol… Les pères, les mères, et aussi les grands-parents, voyant ainsi danser leurs enfants, sont pris de la même envie, entrent dans le bal et, ma foi, ils sont presque meilleurs au rigodon que leur progéniture. Et tout ce petit monde tourne, danse, saute, s’entremêle dans un mouvement spectaculaire]
Depuis il a passé bien de l’eau sous les ponts de Méouge, et le rigodon est passé de mode. Encore que la pratique en a été conservée bien plus longtemps en Dauphiné qu’en Provence, témoin une manifestation folklorique qui eut lieu à Gap en 1938. Le programme annonçait, entre autres : « Les Rigodonnaïres de Gap-Charance présentent : LE RIGODON, danse du Terroir »
Mais à quoi pouvait bien ressembler cette danse régionale ?
Je recopie une description trouvée dans un vieux journal :
« Le rigodon est une danse très gaie, très vive, d’une allure presque sauvage, d’une simplicité et d’un style qui témoignent de son antiquité. Il se rattache au chibreli, plus fruste, plus violent, qu’on danse dans l’Isère et surtout dans l’Ain.
Sa mesure est à deux temps comme le plus grand nombre de bourrées du Centre de la France. Il comprend essentiellement deux parties alternantes : d’abord 8 mesures, pendant lesquelles danseurs et danseuses se suivent sans se tenir, tournant en rond dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Pendant ces mesures, la ronde se fait d’un pas saccadé et rapide.
Puis chaque homme se retourne brusquement vers la femme qui le suit, et tout deux, se faisant face, dansent sur place pendant les autres mesures. Les bras sont levés en corbeille : les pieds marquent fortement le temps, par des chocs en avant et en arrière. On fait ensuite demi-tour pour danser de même, avec la danseuse du voisin, avant de reprendre la ronde.
La danse est accompagnée de huchements (et de claquements de doigts), en patois “chicagnardes”. »
Le même journal indiquait qu’un chant accompagnait la danse :
« Le rigodon était populaire non seulement dans le Gapençais, mais aussi en Matheysine, dans le Champsaur et dans le Trièves. Et si le patois de ses refrains différait quelque peu, la cadence était la même et les paroles avaient, dans chaque village, un caractère de simplicité, de naïveté non dépourvu de malice.
A Mens, on chantait par exemple :
« Amériou maï uno coucourdo / Qu’un grou lourdau à moun cousta
La coucourdo me farié viouré / Lou grou lourdau faï que renar »
[j’aimerais mieux une courge qu’un gros lourdaud à mon côté car la courge me ferait vivre, mais le gros lourdaud ne ferait que grogner]
A Château-Queyras, où le rigodon était connu, on dansait sur ces paroles :
’ douna li de bren / a naqueau ase / douna li de bren / que dansa ben
Si n’en donna gaïre, dansa gaïre / Si n’en donna ben, dansaré ben ».
[donnez lui du son, à cet âne, donnez lui du son pour qu’il danse bien – si vous n’en donnez guère, il ne danse guère, si vous en donnez beaucoup, il dansera bien]
Ne pourrait-on pas conclure de ces deux refrains que les jeunes danseuses de rigodon étaient malicieuses, que leur regard, sous la coiffe de dentelles était parfois moqueur et que le plaisir du bal ne les empêchaient pas de choisir, avec clairvoyance, parmi les cavaliers empressés ?
… et pour en finir avec ces citations, nous vous donnerons les paroles du rigodon de Charance :
La barqua vira, mia / la barqua vira / laïsso la virar
Tant que vira, tant que vira / laïsso la virar / tant que vira dou bouon las !
[la barque (du lac de Charance) tourne, ma mie. Laisse-la tourner, tant qu’elle tourne du bon côté »]
De quel style pouvaient être les paroles en usage à Séderon ?
Un autre commentaire, beaucoup plus récent puisque paru dans Prouvenço d’aro (n°325 – octobre 2016) et signé par Pierre Pessemesse donnait quelques indications bien amusantes :
« Aqéu mot rigodon designo uno danso dei siècle XVII° e XVIII°, vivo e galo que se pratico en aussant bèn aut la cambo dessus un ritme à dous tèms. Dins leis estage oucitan deis annado 1950, me souvèni que canterian e danserian ço que semblavo un rigaudoun paroudic amé aquéstei paraulo :
E chau chau chau ausso lou quiéu la vièio
E chau chau chau ausso lou bèn aut
Lou mot s’aparènto au latin gaudire e vendrié de se regaudir – se rejouï »
[Ce mot rigodon désigne une danse des XVII et XVIIIe siècles, vive et gaie qui se pratiquait en levant bien haut la jambe sur un rythme à deux temps. Dans les stages occitans des années 1950, je me souviens que nous chantions et dansions ce qui semblait un rigodon parodique avec ces paroles :
Et hop hop hop hausse le cul la vieille
Et hop hop hop hausse le bien haut
Le mot s’apparente au latin gaudire et viendrait de se regaudir – se réjouir.]
Mais tout ça ne nous donne ni l’air ni la musique !
Charles Dupuy-Montbrun
En 2016, le livre de Gilbert Picron avait mis à l’honneur Charles Dupuy-Montbrun. Revoilà le personnage, sous la plume de Mistral cette fois.
Dans ses « Memòri e Raconte », Mistral racontait les souvenirs de son passage à Montbrun après une grande randonnée dans le Ventoux. On apprend ainsi que la fête patronale de Montbrun était l’occasion de grandes ripailles, mais surtout que la tradition orale avait gardé une bien triste mémoire des exactions du seigneur local :
« I’a rèn que fague gau, quand sias pèr orto e que sias las, coume uno aubergo de païs, ounte toumbas un jour de voto. A Mount-Brun, pensas-vous qu’entre intra au cabaret, anan vèire pèr sòu un mouloun de poulardo, de poulet, de dindoun, de couniéu, de lebraut, emé de perdigau, que, la bono salut, anounciavon pas misèri ! Quau plumavo d’eici, quau saunavo d’eila. Un parèu de longs àsti, carga de lardadouiro e de cassun embausemant, viravon, degoutavon, sus lou calèu di lichafroio, tout plan-planet, davans lou fiò. L’oste, l’oustesso, en aio, metien sus chasco taulo li boutiho, li coutèu, li fourqueto que falié… E tout acò pèr li proumié que demandarien à dina, valent-à-dire pèr nous autre. Oh ! couquin de bon sort ! èro la benuranço ! E pèr-dessus, – qu’acò, vès, coustavo pas mai – li fiho de l’oustesso avien tant poulit gàubi que resterian aqui autant que la voto durè, rèn que pèr l’agradanço d’èstre servi pèr éli ! ».
[Rien qui fasse autant plaisir, lorsqu’on court les chemins et qu’on est fatigué, que l’auberge d’un pays où on arrive le jour de la fête votive. A Montbrun, imaginez qu’en entrant au cabaret nous vîmes sur le sol un monceau de poulardes, de poulets, de dindons, de lapins, de lièvres, avec des perdreaux qui, à la bonne vôtre !, ne pleuraient pas misère ! Qui plumait d’ici, qui saignait de là. Une paire de longues broches, toutes chargées de lardoires et de gibier odorant, tournaient et dégouttaient sur le carré des lèchefrites, tout doucement, devant le feu. L’hôtelier et l’hôtelière, sans répit, mettaient les bouteilles, les couteaux, les fourchettes qu’il fallait sur chaque table… Et tout ça pour les premiers qui demanderaient à dîner, c’est-à-dire
pour nous autres. Oh coquin de bon sort ! Une bénédiction ! Et en plus – chose qui ne coûtait pas davantage – les filles de l’hôtesse avaient de si bonnes manières que nous restâmes là tant que dura la fête, rien que pour l’agrément d’être servis par elles.]
« A Mount-Brun, se disié autre-tems en Doufinat, s’arribes à dos ouro, à très ié siès pendu. Fai bèn vèire que prouvèrbi n’es pas toujour vertadiéu… Mai se dèu rapourta (iéu lou crese) au renoum dóu terrible Mount-Brun, lou capitàni uganaud, qu’èro segnour d’aquéu vilage. Es éu, Charle dóu Piue, di lou brave Mount-Brun, que tenguè targo au rèi de Franço, disènt pèr si resoun que « lis armo e lou jo rendien lis ome egau »…
… Anerian vesita lou catèu dóu baroun – que Francés II faguè destruire. Ié rèsto quàuqui fresco atribuïdo à-n-Andriéu del Sarto. E, sus lou badarèu, nous moustrèron lou rode d’ounte, pèr s’amusa, lou segnour uganau, emé soun arquebuso, acanavo li mouine qu’avau, dins lou jardin d’un couvènt que i’avié, legissien soun breviàri.
Enfin, de-long dóu Toulourenc, riéu que, darrié Ventour, despartis la Prouvenço d’emé lou Dóufinat, aguènt représ nosto tournado, venguerian, en passant au pèd dóu Ventouret e ‘n ribejant lou Gourg dis Oulo, destrauca dins la valado risouleto de Saut. »
[A Montbrun, disait-on autrefois en Dauphiné, si tu arrives à deux heures, à trois tu es pendu. Cela montre qu’un proverbe n’est pas toujours véridique… ça devait se rapporter (c’est ce que je crois) au renom du terrible Montbrun, le capitaine huguenot qui était seigneur du village. C’est lui, Charles du Puy, dit « le brave Montbrun », qui tint tête au roi de France, alléguant pour raison que « les armes et le jeu rendaient les hommes égaux »…
Nous allâmes visiter le château du baron – que François II fit démolir. Il y reste quelques fresques attribuées à Andrea del Sarto. Sur la terrasse, on nous montra l’endroit d’où parfois, pour s’amuser, le seigneur huguenot abattait d’un coup d’arquebuse les moines qui, dans le jardin d’un couvent qu’il y avait en-dessous, lisaient leur bréviaire…
Enfin, ayant repris notre marche le long du Toulourenc, rivière qui derrière le Ventoux sépare la Provence du Dauphiné, nous sommes passés au pied du Ventouret et, longeant le Gourg des Oules, avons débouché dans la riante vallée de Sault].
Linoto
Dins lou cantoun dou cop venent, que charravo de la pastouralo de Moussu Pastourel, aviéu leissa un mot – linoto – que l’aviéu pas sachu revira. Desempuei, à forço de vira li pajo de diciounàri, ai trouba uno linoto, qu’es uno varianto marsiheso de lignoto. Aquel’ aucéu, meme se béu que d’aigo (es pas coume lou cha-cha, qu’a marrido reputacioun), sible… coume aqueli qu’en aganta la cigalo en levant lou couide : « N’avié qu’un pichot defaut, de sourti lou matin emé la linoto e d’intra lou sero emé l’agasso ! » (prouverbi cita pèr Mistral dins soun TDF).
Tout aco n’en fai bèn proun, de noum de bestiolo pèr nouma li chicatoun, mai douno pas responso pèr la reviraduro, pèr ço que dins lou testo ouriginau, linoto èro un ajeitièu e noun un sustantièu.
Tambèn, ai uno ideo, pitchoto : se falié noun pas legi linoto mai lignolo. Em’aco, lou camin dis estello aurié esta drech, drech coume uno ligno.
[dans le « cantoun » du numéro précédent, qui parlait de la pastorale de M. Pasturel, il y avait un mot – linoto – que je n’avais pas su traduire. Depuis, à force de tourner des pages de dictionnaire, j’ai fini par trouver une linoto (linotte), mot marseillais qui est une variante de lignoto. Cet oiseau-là, même s’il ne boit que de l’eau (à la différence de la grive qui a mauvaise réputation), siffle… comme les leveurs de coude quand ils ont pris la cigale : « Il n’avait qu’un petit défaut, c’était de partir le matin avec la linotte et de revenir le soir avec la pie ! (le proverbe est cité par Mistral dans son Trésor du felibrige).
Tout ça fait beaucoup de noms de bestioles pour parler des bons buveurs, mais ne nous donne pas réponse pour notre traduction car dans le texte d’origine linoto était un adjectif et non un substantif.
J’ai tout de même une idée, petite idée : si, au lieu de linotte, il fallait lire règle. Alors le Chemin des Etoiles aurait été tout droit, tout en ligne droite].
Lou Jo de bocho
Alphonse Michel publia cette chanson à la gloire du jeu de boules dans l’Armana Prouvençau pèr 1890. Dédiée aux membres du Cercle des Boulomanes à Marseille, sur quel air faudrait-il la chanter pour que les joueurs de Séderon la reprennent en chœur ?
[J’ai commis trop de chansonnettes : j’ai chanté le jus du raisin ; sur les femmes et le tabac, j’ai pondu de nombreux refrains. Aujourd’hui, avec croche et double croche, peut-être sans sel ni poivre, je vous chanterai le jeu de boules, qui est le jeu des provençaux.
C’est certainement un noble exercice, pour nous maintenir le sang vif, aucun autre n’est aussi propice et aucun autre n’est plus plaisant. Aussi nu-pieds ou en galoche, de Marignane jusqu’à Sault, chacun aime le jeu de boules…
Les parisiens, qui s’érigent en maître et qui partout voudraient commander, ne sont qu’une bande de fats qu’il faudrait envoyer au diable… ils ont beau faire les finauds, ici ils ne gagneront pas le concours, ils ne connaissent pas le jeu de boules…
Si un jour ils trouvent nécessaire de consulter la nation en un grand plébiscite sur la plus grande des questions, quand il faudrait que j’y aille avec des béquilles, au suffrage universel je voterai pour le jeu de boules…
Bons confrères du « Boulomane », braves amis, joyeux compagnons, vous autres qui êtes les plus forts, nous qui sommes les maladroits, pour attiser le feu de nos fêtes et boire comme des ivrognes, soyons fidèles au jeu de boules, qui est le jeu des provençaux.]
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(santon de la maison « Mayans ») |
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jougaire |
o regardaire ? |
Sur l’article de Barret de Lioure
après lecture dans le n° précédent de l’article sur l’inventaire du patrimoine de Barret de Lioure, notre ami Richard Magnan réagit et nous écrit :
Ah ! Aquelo empègo ! Sabès pas qu’aquelo qu’an fa la tiero dou patrimoni dou vilage de Barret e que soun ana metre soun nas dins l’etimoulougio dou noum d’aqueste vilage an pas bèn capita.
Avisas vous que disoun que Barret es un mot que sorte dou viei francés ! mai à Barret de Lioure sian toujour esta en plen mitan dou pais d’oc e de la lengo d’oc ! Un d’aquésti jour, belèu, se fasen pas mèfi, finiran per dire que la vilo de Marsiho es estado fondado per lei Frances.
[Ah celle-là, elle est bien bonne ! Savez-vous que ceux qui ont fait l’inventaire du patrimoine de Barret et qui sont allés mettre leur nez dans l’étymologie du nom de ce village n’ont pas bien réussi. Rendez-vous compte, ils disent que Barret est un mot venant de l’ancien français ! Mais Barret a toujours été en plein milieu du pays de langue d’oc ! Un de ces jours, si nous n’y prenons pas garde, ils finiront par dire que Marseille a été fondé par les Français]
Chamouso
Ecrire que du sommet de la montagne de Chamouse on peut voir la Méditerranée, la Durance et le Rhône, c’est ce qu’avait osé faire Abel Laugier, le félibre de Lachau dans Lou Gau [n°134, 25 d’outoubre 1905]. Il est vrai que Laugier prenait soin de nommer le Ventoux, pour montrer à tous ceux qui connaissaient suffisamment notre région qu’il se livrait à une substitution poétique :
« Sabès – e, se lou sabès pas, vous lou dirai – que siéu dóu Dóufinat ; siéu d’aquelo bello encountrado ounte lou cèu es tant blu, li gauto soun tant roujo e la néu tant blanco.
Despièi mai de trento an que siéu eici n’ai jamai pouscu me desmama dòu poulit endré qu’es esta moun brès e que, se Diéu vou, sara ma toumbo.
Subre-tout, despièi quauque tèms, se moun cor rèsto à Marsiho, ma pensado es à Lachau. Or, vous atrouvarés, qu’un d’aquésti vèspre, que, dins lou jour, i’aviéu pensa encaro mai que de coustumo, m’endourmiguère emé l’ardènt desi de lou revèire en pantaiant.
E de fèt, pas plus lèu endourmi, me reveguère en sounge subre la cimo de Chamouso, vesino dou Ventour. I’avié ’n moumen qu’ère aqui, amirant coume se dèu l’inmènse païsage : d’un coustat, lou Rose e la Durènço, ribejant o travessant li gràndi plano prouvençalo, emé, aperalin, à perdo de visto, lou blu de la Mieterrano se mesclant e se counfoundènt emé lou blu dóu cèu ; de l’autre las, un escabouet noumbrous de colo e de mountagno, cabro fèro e miolo descaussanado, arrestado subran pèr un poudé magi en pleno cavaucado de-vers l’Empèri dou soulèu… »
[Vous savez – et, si vous ne le savez pas, je vais vous le dire – que je suis du Dauphiné ; je suis de ce beau pays où le ciel est si bleu, les joues sont si rouges et la neige si blanche.
Depuis plus de trente ans que je suis ici, je n’ai jamais pu me déshabituer du joli endroit qui fut mon berceau et qui, si Dieu le veut, sera ma tombe.
Depuis quelque temps surtout, si mon corps réside à Marseille, ma pensée est à Lachau. Or il s’est trouvé qu’un de ces soirs, y ayant pensé encore plus que d’habitude durant la journée, je m’endormis avec l’ardent désir de le revoir en rêve.
Et de fait, pas plus tôt endormi, je me revis en songe sur la cime de Chamouse, voisine du Ventoux. Il y avait un moment que j’étais là, admirant comme il se doit l’immense paysage : d’un côté, le Rhône et la Durance, bordant ou traversant les grandes plaines provençales, avec au lointain, à perte de vue, le bleu de la Méditerranée se mélangeant et se confondant avec le bleu du ciel ; de l’autre côté, les nombreuses collines et montagnes ressemblaient à un troupeau de chèvres sauvages et de mules échappées, figé soudain par un coup de baguette magique dans leur cavalcade vers l’Empire du soleil.]
Après Barret de Lioure et Lachau, voici Pelleret et une histoire vraie, racontée par l’ancien curé de Mévouillon, Victor Morel – qui signait Lou Pastras et l’a publiée dans Peuple Libre du 9 décembre 1972 :
« Lou VENTAIRE
Un an, à Pelleret, i ague uno grando festo : la benedicioun de l’autar flame nou. Touti li brave ome de Pelleret avien rafistoula eme afecioun e devouament la pichoto gléiso. Lis un fasien la maçounarié, lis autri la pinturo, d’autri la menuisarié, l’eleitricita. E tamben, touti li
bravi femo de Pelleret avien agu quicon d’obro per pétassa lis aubo, li nappo, li paradouiro e mai que mai per escouba, fréta, astica lou sou, li banc, li cadiéro.
Mau-grat lou marrit téms, mau-grat la pleuio que barulavo coumo de coucourdo, aquesto festo fugue uno miraviho.
Touti li Pelleretié avien counvida sis amis. Que de géns ! que de géns ! L’Avesque éro vengu de Valenço eme touti li curat de l’encountrado. Li droulet de la famouso Couralo de la grando villo de Sant-Estienne eron à la tribuno. Aquesti droulet cantavon coumo d’angi. Vous crésias en Paradis.
Un Paradis que fugue court, court. Aco es pas de créire mai es ansin : la meravihousos ceremounio fugue léu, léu acabado. Aqueste Avesque éro quicon despachatiéu. Ero ben dou siecle de la vitesso : tarlantiavo pas. Ero d’aqueli que an pas plus léu parti que volon estre arriba. Coumo li courreire cicliste dou Tour de Franço, nostre Avesque ero sempre couratieu contro la mostro. Avian pas lou téms de li pousa uno questioun que déjà vous avié baia la responso ! Ero pas chalaio coumo tant e tant d’avesque e de curat. Per la bénédictioun de l’autar, la Santo liturgio demando que l’Avesque fague lou tour de l’autar eme lou goupillon per l’asperja, piei un autre tour eme l’encensaire. Nostre Avesque ane talamen vite, vite per faire aquesti dous tour de l’autar que lou brave curat de Sant-Auban, tenent lou pan de la capo episcoupalo, arribavo pas à segre l’Avesque e manque resquia sus li clavèu de si soulié de cassaire !
E veici qu’au lendeman de la Festo, quand lou brave pepei Jeromo rescountre lou curat dins Pelleret, i digue en s’escacagnan : « Mai, nostre Avesque es pas un Avesque ! Es un VENTAIRE ! »
[Peuple Libre du 9 décembre 1972]
[Une fois, à Pelleret, il y eut une grande fête pour la bénédiction de l’autel flambant neuf. Tous les braves hommes de Pelleret avaient rafistolé avec affection et dévouement la petite église. Les uns faisaient la maçonnerie, les autres la peinture, d’autres la menuiserie, l’électricité. Et, de la même manière, toutes les femmes de Pelleret avaient eu pas mal de travail pour raccommoder les aubes, les nappes, les tentures et encore plus pour balayer, frotter et astiquer le sol, les bancs, les chaises.
Malgré le mauvais temps, malgré la pluie qui roulait comme une courge, cette fête fut merveilleuse.
Tous les Pelleretiers avaient invité leurs amis. Que de gens, que de gens ! L’Evêque était venu de Valence, ainsi que tous les curés des environs. Les enfants de la fameuse chorale de la grande ville de Saint-Étienne, installés à la tribune, chantaient comme des anges. On se croyait au Paradis.
Un Paradis qui fut court, court. Ce n’est pas croyable mais c’est ainsi : la merveilleuse cérémonie fut bien vite achevée. Cet Evêque là était quelqu’un de pressé. Il était bien du siècle de la vitesse, il ne traînait pas. Il était de ceux qui pas plus tôt parti veulent être arrivé. Comme les coureurs cyclistes du Tour de France, notre Evêque était toujours en train de courir contre la montre. Nous n’avions pas le temps de lui poser une question que déjà il vous avait donné la réponse. Il ne traînait pas en route, comme tant d’évêque et de curés.
Pour la bénédiction de l’autel, la Sainte Liturgie demande que l’Evêque fasse le tour de l’autel avec le goupillon pour l’asperger, puis un autre tour avec l’encensoir. Notre évêque alla tellement vite, vite pour faire les deux tours de l’autel, que le brave curé de Saint-Auban, qui tenait le pan de la cape épiscopale, n’arrivait pas à suivre l’Evêque et faillit resquiller à cause des clous de ses chaussures de chasseur !
Et voilà qu’au lendemain de la fête, quand le brave pépé Jérôme rencontra le curé dans Pelleret, il lui dit en éclatant de rire : « Mais notre Evêque, c’est pas un Evêque, c’est un ventilateur !]