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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Un livre d’arithmétique de 1746
Article mis en ligne le 29 décembre 2016

par DELHOMME René

J’avais retrouvé dans les archives de mon père des photocopies « surprenantes » présentant les mathématiques sous un aspect inhabituel. Un vague souvenir, en les revoyant, m’était revenu à l’esprit : c’étaient des documents photocopiés à partir d’un livre prêté par Mme Payan Agnès (sœur des frères Raspail habitant la ferme de Combe la Bouse à Vers, puis leur maison de Rivaine à Séderon).
Il s’agissait d’un « livre d’Arithmétique appartenant à moy Louis Dethes du lieu de Séderon que j’ay faits et construit sous la démonstraction de Monsieur Durand M(aîtr)e Ecrivain à Manosque ce premier juillet mil sept cens quarante-six ».
La photo est en page de couverture du Trepoun.

L’original a été retrouvé. Romain Dethès raconte, dans les pages suivantes, où et comment.
Je me contenterai d’en décrire les caractéristiques physiques. Tout d’abord il faut préciser que le livre est entièrement manuscrit. Il est composé de 6 cahiers de 20 à 22 feuilles cousues, reliés sous une couverture de cuir.
Le tout fait 268 pages, numérotées et enrichies d’une double ligne formant cadre comme le montre l’exemple de la

page 219 – Extraction de la racine quarrée

© Essaillon

Pour visualiser le contenu du livre, voici quelques pages caractéristiques. Notez que le format original, 33.5 x 21 cm, est plus grand que nos reproductions :

La table de multiplication ou Nul ne sera bon chiffreur si son livret ne scait par cœur

© Essaillon

page 48 – Multiplication des charges bled et ses parties (eymines – civadiers)

© Essaillon

page 144 – Règle de trois

© Essaillon

page 234 – Règle d’une fausse position

© Essaillon

Au fil de ses 278 ans d’existence, l’ouvrage a reçu quantité d’annotations. Il semble que toute la surface laissée en blanc à l’origine ait été utilisée pour des essais de texte, de signatures, ce qui atteste que le livre est passé entre de nombreuses mains – et que le papier était un produit sinon rare, du moins circulant en si petites quantités qu’il ne fallait rien en laisser perdre.
On trouve ainsi un essai de texte de lettre :
« Cher monsieur et très cher… et amy je vous écris ces deux petites lignes pour vous faire savoir l’état de ma santé laquelle est fort bonne je prie grasse au Seigneur que la votre en soit de même… »
Des signatures sont disséminées tout au long du livre, certaines très lisibles, d’autres moins.
Que représentent-elles ? S’agit-il seulement des possesseurs, simples utilisateurs successifs ?

© Essaillon
© Essaillon
Dethes
Joseph Payan
© Essaillon
Jacques Louis Payan
© Essaillon
© Essaillon
Monard
Antoine Joubert (?)
© Essaillon
L’ami
Payan
Paris
Fortuné
Drôme
(cette indication de département situe l’annotation bien loin de 1746.)

On trouve aussi le superbe dessin d’un oiseau tenant dans son bec une fleur à longue tige, avec la signature :

Bertrand a fait ce coq
qui est au dessous
© Essaillon

Toutes ces signatures et dessins ont été rajoutés au fil du temps. Mais dès l’origine, chaque page du livre fut écrite d’une calligraphie soignée, ornementée de lettrines et de fioritures :

ADiction (pour addition)
E comme Exemple
© Essaillon
© Essaillon
Fioriture de bas de page
© Essaillon

A la page 242, apparaît
la Règle de compagnie pour les marchands et autres

© Essaillon

Cette règle de compagnie est appuyée d’exemples :

© Essaillon

Un marchand étant à la foire de beaucaire a fait un achat de 6 pièces de drap…

© Essaillon

Un marchand étant à la foire de La magdelaine à Ville France il a fait un achat de 6 chevaux…

Les exemples choisis consacrent deux foires prestigieuses : celle de Beaucaire, dont toutes les mémoires ont conservé le renom, et celle de Villefranche (le Château) pour la Ste Magdeleine, dont la spécialité était le commerce des chevaux. Notre région a eu ses heures de gloire.

Je reste abasourdi devant une telle entreprise. Combien de temps – plusieurs semaines au
moins – pour écrire et dessiner tout l’ouvrage ?
Ma réflexion me pousse à imaginer un atelier, une école, où Maître Durand dicte chaque jour sa leçon et contrôle le travail de ses élèves (et il devait en avoir plusieurs pour rentabiliser son enseignement, chacun payant son écot).

Essayons de comprendre le procédé de confection : l’élève copiait-il sur une grande feuille qui ensuite devait être pliée pour former un cahier, chaque cahier étant ensuite cousu et enfin relié aux autres pour former le livre… ? Ou alors écrivait-il directement sur le cahier déjà aménagé ? La seule chose sûre, c’est qu’il ne pouvait écrire sur le livre déjà relié : l’épaisseur l’aurait gêné !

Le sommaire qui suit ne figure pas à la fin du livre. C’est une reconstitution destinée à montrer la complexité des notions mathématiques enseignées. Car les exemples d’application proposés par Maître Durand n’étaient pas toujours adaptés à l’utilisation future que ses élèves pourraient faire de leur nouveau savoir. Ainsi je doute que Louis Dethes, du lieu de Séderon, n’ait jamais eu besoin d’appliquer la « règle de compagnie pour les fermiers généraux » ou « pour les trésoriers des guerres »…

Alors la grande question reste le but poursuivi. Comment un simple séderonnais, de condition sans doute modeste, a-t-il pu se retrouver dans une pareille école et surtout payer pour acquérir un outil dont l’utilité n’est pas évidente ? Destinait-il le livre à un enseignant, à un commerçant, c’est-à-dire à un professionnel prêt à en payer le juste prix ?

Les articles qui suivent vont essayer de répondre à ces interrogations. Ils retracent l’histoire de ce livre si particulier et le replacent dans son contexte historique.

René DELHOMME
Sommaire du livre de Louis Dethès

p 1 – page de titre
p 2 – page vierge (couverte de signatures diverses)
p 3 – échelle de numération
p 6 – addition
p 18 – soustraction
p 31 – multiplication
p 52 – division
p 93 – règle du cent
règle du millier
p 122 – interest
p 131 – calcul d’interest
p 137 – changes
p 144 – règle de trois
p 204 – règle de gain
p 205 – règle de perte
p 207 – règle de change
p 209 – règle de caisse
p 212 – règle d’alligation
p 214 – règle d’algèbre
p 219 – extraction de la racine quarrée
p 227 – extraction de la racine cubique
p 234 – règle d’une fausse position
p 241 – règle de deux fausses positions
p 243 – règle de compagnie pour les marchands
p 250 – règle de compagnie pour les financiers
p 243 – règle de compagnie pour les fermiers généraux
p 263 – règle de compagnie pour les trésoriers des guerres pour l’Etat major
p 264 – pour l’infanterie pour la cavalerie