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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Séderon il y a 400 ans… 1620
Article mis en ligne le 1er décembre 2020
dernière modification le 19 août 2022

par sandy-pascal
Dans cette rubrique, nous continuons à publier les transcriptions [1] de certaines délibérations des registres consulaires de la communauté de Séderon. Ces délibérations, prises par le «  Conseil général de la communauté  », ancêtre de nos conseils municipaux où tous les chefs de famille du village débattaient avec les consuls [2] – sortes de maires élus par deux pour un an – nous permettent de découvrir ce qui se passait dans notre village et comment il s’organisait voilà 400 ans…


Situation historique
Henri IV a été assassiné le 14 mai 1610. Louis XIII, à peine âgé de 8 ans, succède aussitôt à son père selon l’adage «  le Roi est mort, vive le Roi  ». Il n’épousera Anne d’Autriche que le 25 novembre 1615 à Bordeaux. Marie de Médicis, sa mère, exercera la Régence jusqu’en 1617.
Au plan religieux, Henri IV a pacifié la France par la signature de l’Edit de Nantes en 1598 après une succession de 8 guerres de religion qui ont divisé le pays.
Sous l’Ancien Régime, Séderon appartient à la Provence, dépendant du Parlement d’Aix. Les «  députés de la communauté  » iront souvent à la viguerie de Forcalquier.

NB : On notera, le 8 juin 1620, une lettre attestant de l’absence du «  mal pestilentieux  » dans la commune d’Orpierre. Suspicion bien antérieure à l’épidémie qui frappera la région entre 1628 et 1632 !

On ne recense que 13 délibérations dans les registres consulaires de Séderon pour l’année 1620. Les consuls, élus lors de la dernière assemblée du 26 décembre 1619, sont Maître Anthoine Reynaud et Guihem Bonnafé.

Le premier conseil de la communauté de Séderon se tient le 6 janvier 1620 et a lieu «  a la place publique dudit lieu  ». A l’issue de cette 1ère assemblée, il est convenu d’effectuer toutes les actions nécessaires pour traiter à l’amiable le différend portant sur la dette de 300 écus que la communauté doit à Jehan Francoys Barniol. Il est aussi demandé aux consuls et responsables de la comptabilité de la communauté de l’année précédente de présenter leurs bilans.

Le 2 février, le conseil se réunit «  sur la cryé faicte par Jaume Tornyaire sergent ordinere dudit lieu  ». Les consuls informent le conseil qu’ils doivent payer 14 écus au titre des deniers du pays à Sisteron et demandent «  les moyens pour y satisfaire  ». Il est donc décidé de vendre le blé du moulin aux meilleures conditions possibles. Par ailleurs, comme le bail du moulin, tenu par Jaume Thomé, arrive à son terme le 27 février, il est convenu de remettre le bail à l’enchère. Enfin, il est arrêté d’informer la population que ceux qui déposent du fumier «  au pred de la ville ou au chemin allant a la font  » devront l’enlever sous 8 jours sous peine de 25 sols d’amende. Ceux qui récidiveront se verront appliquer le double d’amende payable «  moytié aux pauvres, l’autre moytié au seigneur de ce lieu  ».

Le même jour, le bail du moulin est mis à l’enchère mais aucune proposition n’est formulée…

Le 27 février, pour payer les 14 écus dûs pour les deniers du pays, il avait été envisagé de faire vendre du blé par Jaume Thomé, rentier du moulin. Mais ce dernier n’a plus de blé, car il a été «  sequestré par debte de la communaulté  »… De plus, Antoine Reinaud, le 1ᵉʳ consul, informe le conseil que la dette de l’hôpital de St Savournin n’étant pas réglée, son créancier a commencé à gager des particuliers et qu’il faut d’urgence «  avoir fondz et argent  » pour éviter tous dépens.

Le 23 février, les consuls informent le conseil que le fils du sieur Ripert de St Savornin a fait gagé la communauté de Séderon pour défaut de paiement de dettes de 1619 pour un montant de 50 écus et qu’ils n’ont aucun «  moyen dy satisfere  »… Il est donc confié aux consuls la mission de rencontrer le sieur Ripert et «  de le supplier davoir patience…  ». Enfin, les consuls alertent l’assemblée sur la situation de certains habitants : «  il y beaucoup de pouvres quy n’ont nul moyens ny crediz pour avoir de quoy vivre et se garder a la faim et quil seroit a propos demprumpter quelque bled, pour leur distribuer  ». Les consuls devront donc «  emprunpter pour les povres  » 6 charges de blé, «  pour les distribuer aux plus necessiteux du lieu  ».

Le 8 mars, comme la nouvelle enchère pour le moulin du 23 février n’avait pas permis de trouver un enchérisseur, entre temps, Jacques Roubaud, fils de Gaspard, s’est proposé de prendre le moulin avec la caution d’Henry Robaud. Cette offre est acceptée, car les conditions de ce bail constituent «  ung grand intheret a la communauté  ».

Le 15 mars, messieurs Ripert, Beliard, Jan, créanciers de la communauté de Séderon, demandent à être remboursés. Les consuls sont donc chargés de leur demander «  quelque relache et dellay (…) en attendant de y provoir pour leur payement  ». Le conseil confie également aux consuls le soin «  d’emprumpter une dizaine de charges de bled pour distribuer aux plus necessiteux (…) pour les garder a la faim  ».

Le 16 avril, Jacques Roubaud est confirmé comme meunier de la communauté pour 3 ans et devra lui payer «  trente charges anone et vingt-quatre charges consegailh, chacune année, payable mois par mois a la fin de chacung mois (…) a condition que tout habitant du lieu ne pourra moldre aucungz grains en autre mollin que de ladite communaulté, a peyne de confiscation de la farine – payable ung tiers au fisc, ung tiers audit musnier et l’autre tiers aux povres  ».

Le 8 juin, Jehan Aveny, maître masson du lieu de Séderon, est choisi pour fabriquer des tuiles «  au terroyr de Guesset  » pour le village et les habitants. Mais il ne pourra en vendre «  a aulcun estrangier  ».

Par ailleurs, comme le bruit court dans la région que «  la contagion estoyt a Orpierre  », les consuls de la ville ont envoyé une lettre à ceux des autres communes, dont Séderon, avec un certificat de médecin «  portant que audit lieu – Dieu grace – n’y a aulcun mal pestilentieux a raison de quoy supplient par leurdite missive les communaultés circonvoysines leur bailher entrée  ». Il est donc décidé, qu’il «  ne sera donné a ladvenir aulcun empechement ausdits Orpierre de commerser en ce lieu  ».

Enfin, Loys Robaud se présente au conseil pour l’informer que la communauté de Barret lui défend de laisser paître son bétail sur son «  terroyr  ». Le conseil rappelle que Loys Robaud et tous les autres habitants de Séderon «  jouyront de leurs privilleges quilz ont de fere depaistre tout bestailh au terroyr dudit Barret (…) conformement a l’arrest qu’ont obtenu sur ce subject  ».

Le 26 juillet, les consuls préconisent de lever un impôt, «  la grosse tailhe  », notamment «  pour payer leurs creanciers  ». La dette totale de la communauté atteint les 1100 écus…

Egalement, «  deux maistres descolle  » se sont présentés pour «  servir la communauté de regent  ». L’un est originaire du lieu de St Canat et l’autre du Languedoc se trouvant actuellement à Montbrun. Le conseil confie aux consuls d’en choisir un «  a la melheure condition que fere se pourra et mesme de fere venir en ce lieu celluy quy est a Montbrun pour traicter s’il est bezoing avec luy  ». Enfin, les consuls informent le conseil «  quil y a ung grand desordre par les glaneurs [3] quy ne se contantent pas de glaner dans les estoubles [4] mais qu’ilz se getent dedans les gerbes mises dans le bled couppé, a raison de quoy pourra arriver quelque escandalle, et de ce aussy que checung se licentie de mettre et fere entrer dedans lesdits estoubles leur bestailh  ». Il est donc arrêté «  que nul ne pourra glaner dans les gerbes (…) a peyne de dix soulz. Comme aussy a esté delliberé que nul berger ne pourra mener fere deppaistre aucung bestailh menu dans les estoubles, feust il le bestailh du maistre dicelles d’ung mois prochain a compter du jourdhuy, a peyne de demy escul pour chacune fois pour laquelle il sera gagé incontinant [5] applicable ung tiers au denonceant, ung tiers au fisc et ung tiers a lhospital  ». Cette décision est diffusée par le sergent ordinaire Jaume Tornyaire «  affin qu’on ny prethendre cause dignorance  ».

Le 16 août, le conseil se réunit «  dessus le ponton de Pierre Robaud  ». La communauté, souhaitant retirer la charge de baille à Jehan Beauchan, les consuls ont rendu visite au seigneur de Séderon, qui lui aussi ne semble guère l’apprécier… et qui soutiendra toutes actions «  licites et raisonables de fere hobster [6] de charge de bailhe ledit Jehan Beauchan  »…

Pour payer les 1300 écus de dettes de la communauté (qui se montaient à 1100 écus en juillet), est imposée «  une tailhe a raison de cinq escultz pour chacung florin [7] exigeable par le thesorier et adjudicateur de ladite communaulté, la moityé par la St Michel prochain et lautre moityé au jour festes de Noel suivant  ».

Le 25 octobre, le conseil se réunit à la place publique. Il propose d’envoyer «  homme cappable a Nihons (Nyons) pour tacher de rendre contant le Sieur Barre et accomoder avec luy les despens faictz  ». Il envoie également «  homme exprès a Forcalquier pour laffere de la vefve du Sr de Vachières et pour le procès contre lhospital de St Savornin et pour mander leurs lettres royaulx pour casser le testement passé en faveur de ladite vefve  ». Pour le règlement des dettes contractées par Pierre Ricou et Nicolas Thomé, il est proposé que : «  en balhant par ledit Ricou lesditz mottons dans ung mois et les interestz du restant de luy supporter le restant de principal dicy a la recolte prochaine.  » Et «  a esté conclud avec ledit Nicolas Thomé de le quicter ceste année pour une moityé de prix du bled quil debvra a la communaulté en supportant linterest du restant.  »

Le 1er novembre, un point est fait sur les créances dues notamment au sieur Barre de Nyons et au procès contre la veuve du sieur de Vachières «  et autres affères n’ayant nul argent en main pour y subvenir  ». Aussi, les membres de l’assemblée «  donnent pouvoir et puissance ausditz consuls de se servir du bled de mollin et icelluy vendre a la meilheur condition que fere se pourra pour satisfere ausditz afferes  ».

Le 26 décembre, se tient l’assemblée «  en conseil general  » car «  lesditz consulz ont representé quilz sont au bout de leur terme et requierent suivant la coustume de fere nouvelle creation de consuls pour lannée prochaine mil six cenz vingt ung  ». Aussi, tous les membres du conseil «  dune mesme voix et accord – nul contredisant – ont esleu et nommé pour consulz, Scavoir : Me Francois Jan premier consul et Jaumes Germain pour second consul  ». Les consuls de l’année 1620, Anthoine Reynaud et Guilhen Bonnafé, appelés «  consuls vieulx  », sont nommés comme estimateurs pour l’année 1621. Ils prêtent ensuite tous serment : «  Lesquelz consulz nouveaulx et extimateurs susditz ont promis et promectent de bien et fidellement sacquiter de leurs charges, procurer le proffict de ladite communaulté, esvicter son domaige de tout son pouvoir et scavoir, et ce au moyen dudit serement quilz ont presté entre les mains dudit Sr bailhe  ».

Enfin, une liste des dettes de la communauté avec les noms des créanciers est dressée. Comme les consuls indiquent qu’ils n’ont «  nul moyen dy pouvoir satisfere  », l’assemblée décide de vendre le foin du pré de la communauté qui sera récolté ainsi que le blé du moulin…

En 1620, comme lors des années précédentes, les délibérations de la communauté de Séderon indiquent un manque cruel de moyens financiers. Les consuls disposent ainsi de peu de marges de manœuvre et gèrent les affaires locales «  à la semaine  ». Mais la communauté n’hésite pas à «  emprumpter une dizaine de charges de bled pour distribuer aux plus necessiteux (…) pour les garder a la faim  ». Cette solidarité rurale du XVIIᵉ siècle témoigne d’un certain esprit d’aide sociale cher à nos ancêtres séderonnais…

Romain DETHÈS
Sandy ANDRIANT